Père François ADER
1916 – 2009, par Edmond VANDERMEERSCH sj, « Compagnie »
n°437 avril 2010, Courrier de la province jésuite de France
Toute sa vie, François s’est passionné pour l’observation et
l’analyse des relations entre les personnes, ces relations qui déterminent ce
que nous sommes, souvent à notre insu, en même temps qu’elles font vivre. Sa
naissance à Paris de petit dernier d’une grande famille, ses impressions
d’enfant de santé fragile, parfois trop choyé, l’ont marqué pour toujours en
même temps qu’elles l’inquiétaient. Quelle place ont-elles laissée à la liberté
de ses choix ? À la construction de sa vie ? Ce questionnement l’a taraudé sa
vie durant, source d’une souffrance permanente en même temps qu’origine de son
œuvre.
François est entré au noviciat en 1934. Dès après le
juvénat, il fait deux ans de régence à St-François à Evreux. Après la
philosophie, le voilà de nouveau en régence à Franklin. A la fin du 3ème An, sa santé réclame
deux années de soins à Marseille et à St-Gervais.
En 1952 il est nommé au CEP (Centre d’Etudes Pédagogiques)
auquel il consacrera 29 années de sa vie en y élaborant des convictions
novatrices : en éducation, l’essentiel réside dans la qualité des relations,
relations entre maîtres et élèves, entre familles et éducateurs, et aussi dans
le fonctionnement des institutions comme dans la transmission de la foi. Pour
promouvoir ces convictions, François obtint qu’un numéro sur quatre de la revue
du CEP, Pédagogie, fondée par le Père Faure, leur soit consacré sous sa
direction. Ces numéros prennent le titre significatif de Parents et maîtres,
avec une diffusion indépendante. On y fait une large place à la psychologie, à
la psychanalyse, aux expériences de terrain. L’écho est considérable : dans les
années 60, Parents et maîtres tirent à plusieurs dizaines de milliers
d’exemplaires.
Avec André de Peretti et les éditions de L’Épi, François
s’emploie à faire connaître en France, notamment dans le monde éducatif, la
pensée de l’Américain Rogers et les pratiques de la “dynamique de groupe”.
Ainsi s’affirme un courant de réforme pédagogique entretenu par de multiples
sessions que François anime par toute la France. Il installe un réseau de diffuseurs
qui le soutiendront des années durant. Cette action le rapproche des
responsables nationaux des APPEL (Association des Parents d’élèves de
l’Enseignement Libre), Jean Le Pichon et Antoine de La Garanderie.
François devient conseiller de l’organisation en quête d’une
orientation nouvelle. La loi Debré vient d’être mise en place, les dirigeants
de l’UNAPEL souhaitent abandonner la revendication politique pour s’impliquer
dans la réforme de l’école. Il s’agit de transformer l’école de la transmission
des savoirs en « communauté éducative ». François et ses amis triomphent au
congrès national des APEL à Lyon en 1967. On y officialise le concept et le
vocable dans l’enseignement catholique. Après 1981, les pédagogues de
l’Education Nationale reprendront cette perspective qui devient le bien commun
du discours éducatif.
Fort de cette paternité conceptuelle et sémantique,
François, dans les années 60, a souhaité obtenir des fonctions opérationnelles
au sein des APEL et de l’Enseignement Catholique. Après 68, les dirigeants de
ces institutions n’étaient pas prêts à ouvrir leur gouvernance à une démocratie
trop participative. François souffrit de ces refus qui frisaient la suspicion
personnelle et la disqualification professionnelle. Avec obstination et courage,
il poursuivit l’animation des « cercles de parents » et la diffusion de la
revue.
Après les années 70, l’opinion se tourna vers la sécurité
des certitudes plus que vers les questionnements, vers l’autorité plutôt que le
débat. Le tirage de la revue ne cessa de décliner. En 81, le Provincial ferma
le CEP. François reçut cette décision comme le désaveu de l’œuvre de sa vie. Il
s’isola dans un petit appartement au cœur de sa famille qui le soutenait
matériellement et affectivement. Il réservait son accueil à quelques amis,
laïcs et jésuites, du temps du CEP. Dans cette solitude volontaire, « sous la
juridiction directe du vice-provincial », il est plus que jamais arrimé au
psychanalyste qui l’accompagnait depuis plusieurs dizaines d’années. Outre les
mariages et baptêmes qu’il célèbre dans sa nombreuse famille, il accompagne une
communauté de Vie Chrétienne.
En 2004, l’affectueuse persuasion du vice-provincial le
convainc de rejoindre la communauté de la rue de Grenelle. Malgré le lourd
handicap d’un Parkinson, son intelligence, son empathie et la saveur de sa
conversation demeurent toujours vives. Retrouvant de vieux compagnons, il a à
cœur d’aider les plus handicapés, de retrouver la verve qui faisait merveille
dans les gaudiosa au temps du scolasticat, et de converser avec tous
comme il le faisait avec bonheur au temps de sa notoriété la plus brillante,
avec les voisins de restaurant, les passants croisés dans les rues de Paris,
les voyageurs d’un compartiment durant les longs trajets d’avant le TGV.
Un jour, signe d’un moment décisif de sa fin de vie, il mit
fin à sa relation avec son psychanalyste. Admis à la maison médicalisée des
Stations à Lille, il continuait à s’interroger sur sa vie, la Compagnie,
l’Église. La dernière conversation que nous eûmes ensemble, le 6 juillet,
évoquait les défis qu’il avait relevés ou perdus, désormais dans une sérénité à
laquelle il ne m’avait pas habitué. Une grande fatigue l’envahissait. Il est
mort le 18 août à l’hôpital où ses proches l’entouraient.
Edmond VANDERMEERSCH sj
« Compagnie » n°437 avril 2010
Courrier de la province jésuite de France
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