jeudi 12 avril 2012

Vie religieuse


Voir aussi :La Compagnie de JésusDes sacrementsVie religieuse
Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Religion masochiste

Je ne veux plus de cette religion masochiste dont les relents, quoiqu'on dise et quoi que on pense, traînent encore, empestant des routes assez chargées déjà de tristesses. Que l'on regarde les hommes, d'abord, les hommes et leurs détresses. Que l'on dépasse les apparences. Que l'on regarde aux cœurs. Et l'on verra s'ils n'ont pas besoin de lueurs, avant tout, d'espoir, et pas d'abord d'être morigénés.

Guérison de « l'état religieux »

Si j'en ai contre « l'état religieux », si j'ai peur de ces maisons linéaires, si je redoute ces vies à part, et soumises, si je crains ce cadrage des élans et des appels, c'est que cette atmosphère est pour moi le symbole, et la survivance aussi, de cet air raréfié qui m'a fait craintif, impuissant, timoré. Ce sont là des fantasmes, je le sais. Je le sais très bien. Mais c'est ainsi. Revenir à cette « vie » d'autrefois – d'avant que je ne m'enfante quelque peu, quelque peu seulement, dans les tâches et dans les liens de trois décades – je le ressentirais comme un plongeon dans une eau stagnante, ou bien encore comme un retour sur les lieux mêmes d'une épidémie, d'une contagion dont je ne guéris qu'à grand peine, et lentement, lentement, si lentement.

La vie religieuse

J'évoque là, je le sais, un problème difficile, difficile, et surtout complexe. La « vie religieuse » est d'abord élan, « milieu » favorable à cette poussée, et c'est à l'aune, seulement, de ce jaillissement et de cet embrasement que peuvent s'évaluer les conduites ponctuelles, et leur sens. Il n'est pas possible de la réduire à la seule observance des « vœux de religion ». Mais ces repères plus visibles n'en restent pas moins pour l'Église instituée la balance où les vies se jaugent et pour beaucoup de croyants l'idéal à l'horizon de leurs existences. L'équivoque s'accroît lorsque l'observance, dans les consciences, n'est plus « porteuse », mais obstacle, et qu'elle éteint les flammes, celles qui brûlent encore, au lieu d'attiser le feu. Il y a de toute façon nécessité de voir clair, et de chercher – oui, de chercher – par où passe vraiment la Vie : où naît-elle, où meurt-elle, où s'étiole-t-elle ?

Se faire engueuler au nom d’une religion d’amour

Je ne récuse pas le langage du « mieux ». Non. Ni l'appel à ressembler, par davantage d'amour, au Père des Cieux. Non plus. Mais j'en ai – oui, j'en ai – contre ce langage institutionnel, de perfection, qui aboutit si souvent à détourner le regard, et l'admiration, de ce que la Vie fait déjà, d'elle-même, dans nos vies. Regarder, voir, admirer, s'étonner, s'enchanter. « Pourquoi faut-il donc qu'à l'Église, chaque dimanche, on se fasse engau nom d'une religion d'amour », me disait un de mes amis lorsqu'il fréquentait encore chaque semaine, il y a de cela longtemps, ce lieu de reproches… « L'état religieux », qui se veut un appel, je le ressens, oui, dans ses ruptures d'avec les besoins vitaux, comme un reproche à l'existence, comme un refus de la voir, en tout cas, dans ce qu'elle a d'immense, et de divin déjà.

Dieu un maître dur et sévère

Et puis, quelques jours après, je priais au fond d'une Église, appelant à l'aide comme d'habitude, criant vers Dieu, demandant de voir clair, répétant avec espoir mes phrases favorites – « qui demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvre » – mais c'était au fond, je m'en rendis compte alors, dans une attente anxieuse, et dépourvue d'abandon, fort peu conforme à la confiance qui me fait entrer, pour appeler « au secours », dans les Églises et chapelles de mon quartier. Et j'eus alors un trait de lumière… Je réalisai que l'image de Dieu, dans le tréfonds de moi-même – et quoi qu'il en soit de mes paroles, de mes convictions, de ce que je crois – c'était celle d'un adversaire, d'un grand méchant, d'un tortionnaire même, tout prêt à punir, à « coincer ». D'un malfaisant qu'il faut apaiser, se concilier. « D'un maître dur et sévère ».

Prêtrise

Je touche là, je le sais, une question très difficile, et je ne suis pas armé pour donner à ce que je ressens des contours suffisamment fondés. Je vais donc m'en tenir à ce que je ressens. Ce sacerdoce, j'en suis bien d'accord, nous le recevons d'une Église. À deux titres. D'abord par l'Ordination de l'Évêque. Puis parce que les hommes, et le corps des croyants, font du prêtre en nous. Mais ce don, cette force, ils ne planent pas en l'air, à charge pour ceux qui les reçoivent d'avoir sans cesse le regard ailleurs. Ils s'enfouissent dans un sol, dans une terre qui a déjà ses sucs, des sucs eux aussi qui disent Dieu, et c'est ce mélange, cette symbiose, qui vont un jour – ou jamais – devenir explosifs, et charger l'atmosphère, alors, d'un souffle à chaque fois neuf.

Dieu c’est pour moi

Je me suis donc interrogé, de nouveau, sur mes lueurs. Je me sens d'une caravane, et dans un compagnonnage. Avec tous, mais avec les plus proches d'abord. Et d'abord encore avec moi-même. Cette marche ensemble, elle est faite, à chaque pas, de multiples liens, porteurs chacun d'une force. Oui, multiples, et à chaque pas. Le passé est en effet là, tout entier, chaque fois, dans l'instant, et déjà l'avenir aussi… La substance de ces entrelacs, le pain de ces échanges, voilà Dieu pour moi. Si Dieu est… Un océan tout entier dans chaque goutte d'eau. Infiniment plus que le peu qu'on en voit. Et peut-être même pas ce qu'on croit en apercevoir. Mais ce qui se passe, ce qui se vit des uns aux autres, c'est Lui, c'est bien Lui. Sa respiration, son souffle, « le souffle de vie », c'est l'air même de nos poumons, et bien plus, infiniment plus. Cette Présence, je désire en vivre. C'est elle, pour moi, sous les apparences du pain et du vin. « L'Amour, la plus universelle, la plus formidable et la plus mystérieuse des énergies cosmiques »

C’est par les hommes que me vient Dieu

C'est alors dans mon cœur, dans le mien, qu'un choc s'est produit, qu'une émotion s'est comme emparée de mon être même, et de tout mon corps. M'entendre dire avec cette évidence, en ce matin de Pâques, par ce neveu que j'aime, et qui plus est sur la route, en plein vent, ces paroles qui fondent l'Univers, m'a fait éclater le cœur, et j'ai mieux compris, quelque peu du moins, la clef de mes bonheurs. C'est par les hommes – par les hommes : et par les femmes ! – que me vient Dieu. C'est sur leurs chemins, directs ou de traverse, que m'apparaît une Présence. C'est auprès d'eux, d'abord, qu'il arrive à mon cœur d'être « brûlant » d'autre chose et de me percevoir, en même temps qu'amoureux d'eux, amoureux d'un Autre : de Quelqu'un.

Jésus, présence humaine

c'est toute l'histoire humaine qui la fait apparaître – par toutes ces rencontres, foisonnantes de vie, de chaleur, qui sont la trame des évangiles : Jésus et les malades, Jésus et Zachée, Jésus et ses disciples, Jésus et Marie-Madeleine, Jésus et le jeune homme, Jésus et Lazare, Jésus et les enfants, Jésus et le paralytique, Jésus et les foules, Jésus et Nicodème, Jésus et la Samaritaine… Autant d'approches de Dieu, autant, en réplique, et en connivence, de « présences » humaines.

Symboles

Symbole, l'humanité même de Jésus. Symbole, son corps. Symboles, ses gestes. Symbole, sa naissance, sa mort, puis son rejaillissement. Symboles, ses paraboles dont certaines, si déroutantes, nous laissent tout pantois, et nous font pressentir en Dieu le « Tout Autre » en face duquel notre connaissance s'épanouit en inconnaissance, mais en inconnaissance qui nous désigne un mystère bien plus large que ce que nous pouvions imaginer. Symboles sur ma table, l'autre jour, ce pain, ce vin, ces gestes, cette coupe et ce calice qui sont pour moi, Bénédicte, à travers ta mère et ta grand-mère, une présence de tes oncles éloignés ou disparus : les deux Philippes. Symboles dont l'habitude que nous en avons masque parfois à nos yeux, et relativise en quelque sorte, l'insondable mystère dont ils sont le signe.

Parce que l'espace, alors, s'élargissait 

Mais peut-être dois-je ici donner la première place, dans ce « feu vert » qui me permit d'écrire, aux pensées d'Eliade, de Baudelaire, de Leroy Ladurie. Parce que ces pensées-là « venaient d'ailleurs », et pas de l'institution dont je suis le mandataire. Parce que « Dieu », grâce à elles, ne m'apparaissait plus enfermé, rétréci, parqué dans la clôture de cette institution qui donne si souvent l'impression de se l'être approprié. Parce que l'espace, alors, s'élargissait : bien au-delà de ces murs, de ces rites, de ces langages où l'Église nous dit d'entrer, chaque dimanche, si nous voulons que s'éclaire l'énigme de notre existence… Ce qu'il y a de ma part, dans ce « non » très ferme aux « choses religieuses », c'est un refus de cette institution dont je n'arrive pas encore, à mon âge, à les distinguer.

Concile

J'ai été saisi, oui, saisi, de voir tant de ces hommes, venus de pays engagés dans des guerres, extérieures ou fratricides, ou bien encore assujettis à des dictatures, réclamer de l'Église qu'elle soit appelante, « prophétique » : qu'elle tienne un langage de vérité sur les injustices, sur « la gravité des blessures d'un monde cassé », qu'elle agisse pour la paix, qu'elle participe aux souffrances de l'humanité, et qu'en face des conflits, des guerres, des divisions, des exploitations, des haines, elle apparaisse vigilante, réconciliatrice. Vigilante, aussi, face aux évolutions d'un monde qui s'éclate, où les couples se disloquent, où les amours se cherchent, et aussi la liberté d'être, où semble également s'affadir le goût de vivre, et de donner la vie… Les analyses ont été rudes, cruelles.

Jésus, pour moi

Le Jésus que je vois alors, en un éclair, c'est celui qui s'approche des foules. Qui guérit le paralytique. Qui rend vivante la main sèche. Qui « réveille » la petite fille de Jaïre, et Lazare, et le fils de la veuve. Qui pardonne à la pécheresse, à la femme adultère. Qui brise l'étau des rapports factices. Qui renverse les tables des changeurs, la prétention des lévites et des prêtres, et la Loi lorsqu'elle ignore l'homme. Celui qui, sur les hommes, a fait passer, pour un temps bref, un souffle venu d'en Haut, de très haut, d'un cœur large, qui sait ce qu'il y a dans l'homme, et qui parle de l'eau vive, par exemple, et du don de Dieu, à une femme qui a eu cinq maris, sans paraître, sur l'heure, attacher lui-même trop d'importance à ce détail…

Bonheur

J'ai été heureux – oui, profondément heureux – de vivre Noël avec ces enfants, ces hommes et ces femmes. Heureux de cette foule en prière, et contente. Heureux de faire, avec toute l'intensité dont je suis capable, les gestes de Jésus, et de les accomplir avec le maximum de recueillement. …. Heureux de célébrer avec des familiers que j'aime. Heureux de privilégier la prière, le silence. Heureux de chanter aussi. Et puis heureux de répondre aux questions de ces enfants, de dire là que Dieu nous aime, de parler de Jésus fait homme, et d'attirer l'attention de tous sur eux-mêmes, sur leur vie, sur leur importance, sur le respect qu'ils se doivent puisque justement Dieu s'est fait homme… Heureux : oui, heureux.

Compassion

Alors voici le mien quand je regarde, à travers les évangiles, la forme humaine de Jésus. Je vois avant tout une immense, une incommensurable compassion. Et puis je vois cet amour, si bon pour nos faiblesses, je le vois bousculer d'un grand vent nos routines, nos barrières, nos murailles, nos défenses… Ce n'est pas pour nous malmener, comme on peut être tenté de le croire. C'est pour nous sortir de nos ornières, de nos tanières. Pour nous livrer nous-mêmes, à notre tour, au souffle de la compassion. À ce souffle qui fait basculer les façades et qui nous ouvre sur l'intérieur des choses, sur le cœur des hommes, le nôtre d'abord, et celui des autres… « Alors, il se fit un grand vent et tous furent remplis du Saint-Esprit ».


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Des sacrements


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Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Célébration

Oui, l'Amour a vraiment éclairé pour moi ces jours, et c'est là mon plus profond bonheur. Encore qu'il n'aille pas sans une frange toujours là d'incertitude. J'avais envisagé, pour la Semaine Sainte, de participer à l'Office du Jeudi. Et puis non, c'était vraiment au-dessus de mes forces. Alors, le Vendredi, avant de prendre un brin de nourriture, j'ai lu la moitié du « Discours après la Cène », puis j'ai célébré lentement, lentement, la fraction du pain. Ce fut un moment de grand bonheur, et d'intense émotion. « Larmes », pourrais-je dire, avec vérité, comme le fait Ignace dans son « Journal Spirituel ». Mais l'expérience était celle, pour lui, d'une célébration quotidienne, et ce n'est pour moi qu'une reprise, bien timide encore, et faite à chaque fois de perceptions certaines que suivent, après coup, des points d'interrogation : de nombreux points d'interrogation.

La messe

Je ne peux pas oublier alors ces Messes auxquelles j'assiste, où je prie bien sûr, mais où j'entends des lectures souvent incompréhensibles, des textes désuets, où je vois des laïcs prendre le relais des clercs pour dire les mêmes choses qu'eux, pour exprimer les mêmes propos édifiants, les mêmes vœux désincarnés, les mêmes résolutions généreuses…

Messe de Noël

J'ai été heureux – oui, profondément heureux – de vivre Noël avec ces enfants, ces hommes et ces femmes. Heureux de cette foule en prière, et contente. Heureux de faire, avec toute l'intensité dont je suis capable, les gestes de Jésus, et de les accomplir avec le maximum de recueillement. Heureux de donner la communion à tous ces enfants – et notamment à l'un d'eux, tout petit, qui vint comme les autres chercher l'hostie et dut faire alors, à l'improviste, sa première communion ! – et puis à cette foule. Heureux de célébrer avec des familiers que j'aime. Heureux de privilégier la prière, le silence. Heureux de chanter aussi. Et puis heureux de répondre aux questions de ces enfants, de dire là que Dieu nous aime, de parler de Jésus fait homme, et d'attirer l'attention de tous sur eux-mêmes, sur leur vie, sur leur importance, sur le respect qu'ils se doivent puisque justement Dieu s'est fait homme… Heureux : oui, heureux. Et pourtant, avant, ensuite – et pendant ! – angoissé, terriblement angoissé.

Peut importe le prélude

Non, l'unité de l'Église ne tient pas au fait qu'il y ait immuablement l'accueil, l'aveu, le chant d'entrée, l'appel à la pitié de Dieu, le chant de gloire, la prière, la première lecture, un psaume, la deuxième lecture, l'alléluia, l'évangile, l'homélie, la prière universelle, l'offrande du pain et du vin, la prière, la préface, le trois fois saint, etc… Et je n'en suis qu'à la moitié ! À la moitié de cette accumulation d'actes successifs qui ne sont que des préludes ! Non, l'unité de l'Église – l'unité du genre humain, de la famille humaine – elle est le désir même de ceux qui veulent pour eux, et pour l'humanité, de ce corps et de ce sang, et peu importe le prélude, peu importe ce qui fait grandir ce désir, pourvu que ce désir-là s'amplifie

Première communion

Serait-ce toujours, alors, un problème de « formes » ? J'ai eu de ce point de vue, voilà trois jours, deux conversations très instructives. Une fois encore à l'occasion de ces circonstances qui ont pour moi tant de prix parce que j'y baigne alors davantage dans le mystère divin des êtres et de ma famille – la première communion d'une petite nièce – bien que cela me provoque toujours à me demander si c'est vraiment respecter les enfants que de les acheminer vers Jésus à travers ces formes où la sagesse, l'encadrement, la docilité, jouent un tel rôle. Ces parents sagement en rangs dans les bancs, dociles eux aussi, du moins là, les flashs répétés, Dieu bien encadré. Lui aussi… Enfin, bon.

Une autre messe de Noël

« Qu'attendons-nous en ce Noël ? » – « Des cadeaux ! » Ce cri de fraîcheur, jailli d'une exquise petite fille, agit alors comme un charme : oui, tous, selon nos âges, nous attendions pour nos vies des « cadeaux ». Mais lesquels ? « Qu'attendions-nous encore ? » – « Un peu moins d'anxiété pour notre Monde », dit un homme du pays d'une voix grave, posée, très intérieure… « Qu'attendons-nous encore ? » – « Du réconfort pour ceux qui souffrent… » : ce fut dit de façon très simple, et je savais ce qu'il y avait derrière ces mots… « Des cadeaux, moins d'anxiété, du réconfort » : trois attentes qui me paraissaient humaines, proches, toutes proches de ceux et de celles qui les avaient formulées. Rien d’« édifiant », d'ampoulé, du vrai, de l'homme : du désir. Alors, là-dessus, nous avons prié, nous avons chanté, nous nous sommes tus. Prié pour nous. Prié pour la communauté des hommes. Prié pour la Pologne.

Onction extrême, mystère d’une famille

C'est surtout qu'il y eut là certains de ses enfants, de ses petits enfants, et arrière petits enfants, qui dissipa ma raideur. C'est de ce mystère d'une famille que je dis un mot avant que nous ne priions ensemble et que je ne fasse, aussi solennellement que possible, l'onction sur le front. Oui, mystère, grand mystère, d'une famille. De ces liens qui si souvent nous enchaînent, ou par lesquels nous nous lions nous-mêmes, mais sans lesquels il n'y aurait pas la vie, pas de vie, et tous ces souvenirs, aussi, de bonheur. J'étais heureux, maintenant, d'être avec cette famille, avec ces humains dont je connais un peu les vies. Je m'en rendais compte une fois de plus, c'est lorsque je plonge au cœur du Monde, dans l'océan de l'Univers et des humains, au plus près de ce qu'ils sont l'un et les autres, qu'un « sens » m'apparaît possible, un sens, une Présence, un Dieu, et que j'accepte alors, sans décalage, d'être serviteur de cette Vie.

Les formes religieuses

Mais peut-être est-ce que je me trompe sur « les formes », ou du moins sur l'importance que je leur accorde. Peut-être ne peuvent-elles être qu'inadéquates. Peut-être n'est-ce qu'à travers les hommes, à travers les personnes – à travers l'expérience – que peut se faire connaître, et se découvrir, le plaisir que Dieu donne. Peut-être a-t-il raison ce confrère dont j'ai déjà parlé – cet homme heureux de sa communauté « mixte » – et qui, quasiment insensible aux problèmes de vie religieuse dont je tentais de lui parler, m'a dit avec sérénité, parlant de son travail dans des groupes : « Moi je travaille à reconstruire les personnes… » Peut-être. Peut-être… Mais si des formes se perpétuent qui contribuent à les détruire d'abord ?

Mariages, engagements, séparations

Il faut revoir le regard sur « l'engagement ». Tant que seront considérés comme fautifs, comme coupables, ceux dont l'union culbute un jour, on continuera de charger l'engagement d'un poids d'absolu qui ne va pas dans le sens de la vérité des histoires humaines. Gigantesque immaturité de nos cœurs, fragiles, et rétrécis. Ce ne sont pas les lois, les règles, les obligations, pas non plus la prière, qui y peuvent quelque chose. Il y faudrait de quoi les faire grandir, ces cœurs. La vie seule y peut quelque chose. La réalité. L'expérience. Les faux pas. Les échecs. Et puis alors les nouveaux départs. Les renaissances.

Pourquoi ces formes étriquées

Alors pourquoi ces formes étriquées, ces textes, ou plutôt ces bribes de textes, si souvent incompréhensibles, ce culte dans l'édifice, ces appels au respect d'une Toute-puissance, pourquoi ces sentiments épurés, désincarnés, dans beaucoup de ces « oraisons » dont je me demande qui donc peut vraiment les faire siennes, en toute franchise, sans se sentir comme soustrait à lui-même, à son être réel, et dépossédé de ce qui le fait « lui » sur cette Terre, là, maintenant, dans sa réalité ? Oui, pourquoi tout cela que Jésus-Christ, justement, a balayé, comme il a balayé le Temple, en ne nous laissant pour signe qu'un repas, un repas pour de bon, et sa personne seulement pour Temple, le Fils de l'Homme aux dimensions de l'Univers ?


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

La Compagnie de Jésus

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Chasteté

« De la chasteté il n'y a pas grand-chose à dire, puisque aussi bien la nôtre doit imiter celle des anges… » C'est à peu près ce que dit du deuxième vœu le « Sommaire » des Constitutions de la Compagnie de Jésus. Je n'en savais pas beaucoup plus en entrant moi-même au noviciat des jésuites en octobre 1934, à dix-huit ans et un mois.

Ma présence dans la Compagnie de Jésus

J'ai d'abord, à l'encontre de ma présence dans la Compagnie de Jésus, une objection qui la vise, elle, et son mode de gouvernement. Ou plutôt qui concerne – comment dire ? – l'adhésion qu'elle attend de ses membres. Il est surprenant, et significatif somme toute, que j'aie pu dire, dans la première partie de ces réflexions, n'avoir jamais eu de difficultés quant à ce qui regarde l'obéissance religieuse. En fait, à deux reprises au moins, j'ai protesté publiquement, avec force, et d'abord auprès des responsables concernés, contre des manières de faire attentatoires, me semblait-il, à l'esprit d'amour d'un groupe évangélique.

Les points majeurs de la Compagnie de Jésus

Comment donc est-ce que je me situe devant les points majeurs de la Compagnie de Jésus. Devant les trois premiers, d'abord, ceux qui m'apparaissent fondamentaux : le désir de suivre Jésus, d'aider les humains, cette « suite » et cette « aide » se vivant au sein d'un « corps », d'une communauté de frères. Oui, je fais mien ce désir, et ces buts-là. Je crois que mon existence en témoigne, comme elle témoigne du regard mystique de Saint Ignace sur l'homme au cœur du créé, sur Jésus, le Jésus de l'histoire, le Jésus familier des Évangiles, au centre de l'Univers, sur la présence en toutes choses, partout, du « Donateur », qui nous habite et qui nous aspire.

Le vœu spécial d'obéissance au Pape

Un autre point majeur de la Compagnie de Jésus est sa volonté de servir l'Église, l'Église Universelle, et qui se concrétise dans le vœu spécial d'obéissance au Pape pour toute mission que celui-ci confierait à l'ordre ou à l'un de ses membres. Prononcé seulement par les religieux « profès », ce vœu n'ajoute rien de plus, dans les faits, à la mise au service du Pape qui caractérise la Compagnie dès son origine. Il lui donne davantage de relief. Il contribue parfois à en fausser la perspective. Car si Saint Ignace tient à ce que le jésuite « sente avec l'Église » – notamment avec l'Église hiérarchique – ce vœu dont l'Objectif est très précis n'oblige nullement, en tant que tel, à conformer ses pensées à celles du Pape. C'est pourtant ce que beaucoup croient.

Introduit dans les écartèlements de la Compagnie de Jésus

Ainsi fus-je introduit vitalement dès le Collège, à travers des « hommes », dans les écartèlements quasiment constitutifs de la Compagnie de Jésus. Tensions entre « rigueur » et « cœur », entre « rationnels » et « affectifs », entre « ascètes » et « mystiques » ? Non, je ne crois pas qu'il puisse y avoir de jésuites sans rigueur et sans cœur à la fois, sans raisons et sans affects ensemble, pas plus que d'ascétisme sans mystique et l'inverse aussi.

Les jésuites peinent à reconnaître et à accepter leurs sentiments

Un membre de droit me confiait au retour de Chantilly : « Nous ne, sommes pas mûrs pour oser nous affronter entre jésuites… » Propos qui me remit en mémoire une réflexion des psycho-sociologues moniteurs à deux sessions de « dynamique de groupe » pour des « Nôtres » : « Il y a là un ensemble assez exceptionnel de personnalités… Nous en avons peu vu qui aient autant de peine à reconnaître et à accepter leurs sentiments. » Surprenant paradoxe si l'on songe au « récit du pèlerin », au « journal spirituel », au constant usage d'un langage affectif toujours associé à la rigueur d'analyse… 

Je crois au rôle de l'Institution

Et pourtant, oui, je crois au rôle de l'Institution, ne serait-ce que comme repère pour se voir soi-même à la place que l'on occupe exactement. Je crois très fort, pour la maturité d'une conscience, à l'élucidation la plus rigoureuse possible du rapport personnel avec l'Institution. Je ne conteste pas la marginalité, ni qu'elle puisse être prophétique, mais c'est toujours alors, à mon sens, dans une dialectique entre un « dehors » et un « dedans » dont je n'aime pas que l'on soit inconscient. J'éprouve une réserve instinctive vis-à-vis des langages qui ne me semblent pas intégrer tous les éléments d'un réel dont on vit. Et les institutions, aussi, nous permettent de vivre.

La communauté appartenance et apport fraternel

C'est cela, surtout, que j'aimerais dire, et faire sentir. Ce qui surgit, au jour le jour, dès lors qu'est acquise cette appartenance. L'apport fraternel, a priori, des « garnisons » successives, et des dépaysements : la Mayenne, la Normandie, le Massif Central, Paris, Lyon, la Provence, Paris encore, et tous ces collèges fréquemment visités ensuite en France, à Beyrouth, au Canada. La confrontation de chaque jour, dans tous ces lieux, avec des psychologies différentes, des nationalités différentes, des tâches différentes. Creuset de telles découvertes, de tels remodelages, qu'un esprit de corps peut s'en dégager, non sans justesse, mais barrière alors insupportable, voire redoutable, œillère égale au privilège… L'appartenance n'est plus en ce cas support, terrain d'envol, mais suffisance où se blottissent les peurs et qui compense, en gain collectif, les déchirements dont sont payées les offrandes individuelles à cette autre « famille ».



Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Psychanalyse


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Cet homme m’ouvrit à la perspective d’une cure analytique

Je ne veux pas m'attarder ici dans des détails, ni décrire avec quel tact, quelle intelligence, cet homme perspicace, exceptionnel, m'ouvrit, il y fallut du temps, à la perspective d'une cure analytique contre laquelle mon être se rebellait avec force.

C'est qu'explose alors tout ce que l'on se cache

Il y a de quoi stupéfier, ici, quiconque n'est pas familier de ce qu'est une cure analytique. … C'est qu'explose alors tout ce que l'on se cache, et que l'on compte sur ce qui en « retombe » pour y découvrir ce que secrète le cœur. C'est que le petit enfant toujours là, mais assujetti, tapi, parle enfin, fort, et que l'on espère apprendre ainsi ce qu'il éprouve et dont le silence, si souvent, empoisonne l'atmosphère.

Quelle chance, déjà, de savoir que l'on peut tout dire

Avant que ne s'approfondisse la relation qu'est essentiellement une cure analytique, avant que ne s'intensifie cette relation – et qu'on ne découvre en soi-même d'abord, à cause de ceux qu'on y maintient indument encore, les vrais obstacles à la parole – quelle chance, déjà, de savoir que l'on peut tout dire. Tout : tout.

Le moi qui s’effrite

Voici cette phrase « J'ai employé, je crois, la plus grande part de mon énergie à maintenir l'édifice de mon moi simulé, qui s'effritait ». Mon souvenir, au-delà des différences, portait donc sur trois points : le sentiment d'une épuisante débauche d'énergie, l'existence d'un « moi » différent du « moi réel », la perception d'un effritement. J'aurais beaucoup à dire sur le déploiement d'énergie défensive qui se solde de plus en plus une impression d'immense fatigue. Mais c'est la perception d'un effritement qui me frappe le plus, et qui me rend ces jours-ci l'écriture difficile.

La cure analytique

J'ai conscience de ce que je dois à tous ces hommes. Aucun d'eux, toutefois, n'aurait pu faire pour moi ce que je dois à mes deux cures analytiques : d'avoir ouvert la cave où grouillaient en moi depuis l'enfance, emmêlées, inextricables, les forces de vie et les forces de mort, et d'avoir permis que s'élargissent ainsi les indispensables soubassements de mon être..
Mais d'avoir pu lentement – d'une lenteur égale à l'épaisseur de mes carapaces – dénouer les chaînes en moi de l'amour captif, non, je n'en remercierai jamais assez ceux qui furent près de moi les témoins très personnels, très indépendants, des découvertes géniales de Freud, et c'est une dette de poids, de grand poids, qui m'engage, et même davantage : l'appartenance à une certaine famille de regards sur l'homme.

Le respect

Le respect, cette autre face de l'amour. Oui, dans la prise en considération de moi-même par cet autre, contagieuse à la longue, j'ai fait l'expérience de l'amour, de la compassion. Il y a des éclairages qui seraient insupportables, tant ils débusquent d'attachements frénétiques, si l'on ne se savait, à l'évidence, aimé. Et c'est là, dans cette conjonction d'amour et d'acuité, d'exigence et de compassion, que se fonde la possibilité d'aimer, de s'aimer, que se dénouent, au feu du respect et de la foi dans l'homme, les chaînes qui entravent l'amour. C'est du moins ce que je crois avoir vécu.

Ces souffrances, c'est sur elles que l'analyse travaille

« Lorsque le cyclone s'installe, … que tout est toujours ailleurs, jamais à des places familières, et qu'il y a juste assez de petites lueurs, par moments, pour se sentir sans repères, sans aucun repère, sans rien d'humain ni d'habituel, alors le malheur est pire. Ces souffrances, ces accalmies, c'est sur elles que l'analyse travaille : pour que le bric-à-brac s'organise, pour que les morceaux trouvent leur place, forment un tout, sans rien d'exclu. Pour que la vie circule. »

Le singulier et le faux-semblant

S'agissant du parcours analytique, la difficile expérience du « singulier » va de pair avec la découverte, éprouvante, cuisante, de tout le faux-semblant que l'on croyait vertueux, des roueries de ce qui se croyait Amour et n'était que calcul pour s'assujettir autrui, ne pas le perdre, ne pas se perdre…

Le père, l’analyste.

« J'imagine que si nous étions en bas, j'aimerais vous prendre la tête, vous la caresser, comme Tarzan, en vous disant : « Mon Père… » Et j'ajoute tout à coups « Je pense à une chose, que je n'ose pas vous dire… » Et je la dis finalement : « J'ai envie de vous dire, bien que je sache que cela n'entre pas dans le cadre d'une relation d'analysant à analyste : « Prenez-moi la main… »
Bien sûr, j'éprouve … le besoin d'un père, d'un père qu'en fait je n'ai pas eu… Je rappelle ce manque. J'en parle. Je fais état de la pudeur extrême de notre père. Je cite ce mot de l'un de mes frères : « Il ne nous a sans doute pas embrassés dix fois durant toute sa vie. » J'éprouve un besoin de tendresse de la part de ce père… « De vous, mon père… » … L'analyste n'a pas ouvert la bouche de toute cette séance. C'est avec une sorte de ferveur contenue, lorsque je pars, qu'il me serre la main…

Interventions, précieuses interventions.

Or moi, ces voitures-là, je veux dire ces interventions, je les dévisage, je les scrute, je les dissèque. Tout au moins jusqu'alors. Je vois, en chacune d'elles, un gage à ne pas perdre. Une pierre précieuse à recueillir. Autant de cailloux blancs pour me conduire à moi-même, à ce moi qui me fuis sans cesse. Et tandis que j'écoute, oreilles grandes ouvertes, et la main parfois même en pavillon pour n'en rien perdre, je mémorise déjà, pour pouvoir, une fois chez moi, noter ces pistes, ces flèches : et leur frémissement surtout.

L'intervention se fait alors plus incisive à mon égard 

L'intervention se fait alors plus incisive à mon égard : « C'est là qu'est la difficulté pour vous : dans une sorte de confusion dont vous ne sortez pas. L'autre vous pénètre, parce que vous l'attirez en vous tant vous avez besoin de lui. Alors vous ne reconnaissez pas en vous l'individu. Vous n'êtes pas une foule, pas une masse… » Je parle de ma pente à m'en remettre à l'autre, à ne pas tenir compte de ce que je ressens… « J'insiste sur l'importance de cette situation de confusion. Elle explique votre réaction au moment de ce départ en vacances d'U. C'était alors comme si elle était vous et qu'il vous paraisse invraisemblable qu'elle vous quitte. Même chose lorsque vous lui demandez avec qui elle est allée à l'Opéra : c'est comme si elle était vous, ce qu'elle n'est pas… (…) Vous ne pouvez pas changer les autres : ils sont ce qu'ils sont… »

Silence

A la fin de la séance, j'ai envie et peur de lui parler de mon travail d'écriture : comme il ne reste que peu de temps, j'en profite pour me taire…

Mais vous, ensuite, vous en faites ce que vous voulez

 « Peut-être… Mais il y a de votre part toute une dramatisation. S'il y a des choses qui vous gênent, vous vous en défaites. Vous mettez tout dans un carton, puis à la poubelle… Les gens sont ce qu'ils sont. Évidemment ils pourraient vous consulter. Mais il y a aussi, quand on fait un cadeau, l'élément de surprise… Vous voudriez les gens autres qu'ils ne sont. Il y a là quelque chose de tyrannique. Et aussi de persécutoire : comme s'ils vous agressaient. Ils font ce qu'ils peuvent. Ce n'est pas « parfait ». Mais vous, ensuite, vous en faites ce que vous voulez… » Je suis remué par cette longue intervention. Je me sens dépassé. C'est au-delà de mes forces Vraiment… 

Déplacer une séance

Je demande donc à l'analyste s'il peut me déplacer à d'autres jours les deux séances que je manquerais… « Cela ne me paraît guère possible… C'est plutôt embouteillé en ce moment… » Long silence. Puis fin de la séance. Une fois dans le métro, je réagis vivement : « Il est tout miel pour me demander à moi des changements d'heure et il ne peut pas me rendre ce service ! Et puis pourquoi se tait-il depuis plusieurs séances ? » Je me mets à marmonner, violemment, sur ce mutisme, à envisager toutes les hypothèses qui peuvent l'expliquer… Et deux jours après, le 14 octobre, je sors avec véhémence mon venin… : « … et tout ce que je dis pour être gentil… » –… !

La peur de mourir

 « Face à ces peurs limitées, poussez les choses au pire… Bon. Eh bien ce n'est pas dramatique, vous restez quand même vivant… Les peurs montrent que nous sommes vivants, et parce que vivants, vulnérables. Évidemment il y a la peur de mourir… Mais je ne crois pas que ce soit la peur de la mort réelle qui nous touche le plus. Bien sûr, nous savons que la mort va venir un jour… Mais la peur de mourir me semble surtout faite de la peur d'être un mort vivant. De vivre sans vivre. Sans être reconnus dans ce que nous sommes par ceux que nous aimons, auxquels nous tenons, et qui aboutit à une sorte d'exil intérieur… On voit cela dans la vie de certains grands hommes, et d'hommes tout court… La peur de ne pas être reconnu dans ses itinéraires singuliers… Nous en avons parlé à propos de Teilhard. »

Intervention

L'intervention ne vint qu'à la fin de la séance : « J'ai été très touché, tout à l'heure, par ce que vous avez dit des mots de votre Mère : « pour eux »… Je pensais que le titre de ce que vous écrivez maintenant pourrait être : « Pour moi ». Avant d'en venir à pouvoir dire un jour : « Pour nous… » Mais on ne peut pas arriver au « pour nous » sans être d'abord passé par le « pour moi »… Que de choses en si peu de mots : et sur la route à parcourir encore, et sur ma pente à me nier, et sur ses origines possibles… Vraiment, oui, quelqu'un d'important : de très important.

Amour

Je ne vous apprendrai pas que l'amour, tout amour, et surtout celui de l'homme et de la femme, est le lieu privilégié de cette expérience conjointe des oasis et de l'aridité, de la luxuriance et du désert. C'est pour cela qu'il est mystère, qu'il reste toujours mystère, et le lieu du désir.

Je pense à l'interdit de l'inceste

Et je dis alors, dans la foulée de ces souvenirs, ma rancœur à l'égard de cette femme… – « Qui a été votre femme… » Cette interruption soudaine, inattendue, me laisse stupéfait, perplexe, et m'ouvre à un champ plus large, qui jaillit brusquement à ma conscience ce… « Ce mot, je l'entends en deux sens. Je pense d'abord à U., bien sûr. Mais à ma Mère, aussi, dont j'ai été tellement proche. Si bien que, devant mon impuissance en face d'U., je pense à l'interdit de l'inceste… » – « Sûrement. Et cela s'est étendu à toutes les femmes… Sauf aux prostituées, qui ne sont pas « des femmes »… »

Il y a des gens amoureux qui cessent de l’être

Il fut significatif en ce 2 février que je me sois rappelé sans peine, et d'emblée, cette réflexion ci de l'analyste – « Mais quand reconnaîtrez-vous que cela arrive dans les amours humaines, qu'il y a des gens amoureux qui cessent de l'être… U. est libre, si elle veut avoir l'expérience de son autonomie… » – et que je ne me sois souvenu qu'ensuite, après les avoir oubliés, de ces propos qui m'avaient cependant tellement frappé : « Vous attendez d'U. qu'elle vous soit fidèle à jamais comme si elle devait avoir pour vous l'amour d'une Mère qui n'oublie pas ses enfants… ».

Respecter la liberté d’une femme normale

« Quand vous allez avec une prostituée, vous ne pensez pas aux autres clients… Il vous arrive même de dire : « Je reviendrai plus tard… » Et vous êtes alors tout à votre désir… Vous ne pouvez pas en agir de même, en respectant sa liberté, avec une femme normale ? Vous qui parlez liberté, respect, condition humaine, et qui témoignez de ces valeurs, vous rendez vous compte, là, de votre main mise ? … Ceci dit, vous avez pu surmonter le choc, vous avez passé une bonne soirée, vous avez accédé à une autre relation… » – « Oui, mais j'ai le sentiment d'avoir mis de côté, chez moi, quelque chose d'extrêmement fort… » – « Oui, une revendication dont vous avez à faire le deuil au bénéfice d'une expérience plus satisfaisante de vous-même… Vous me faites penser au petit enfant qui trépigne de rage : « Maman, Maman, Maman, Maman, Maman… »

Cela peut durer à perpétuité

Ce qui m'a le plus « touché », ce qui a fait mouche, ce sont ces mots de l'analyste : « Mais ce n'est pas « fini »… Il n'y a pas de conclusion… Cela peut durer à perpétuité… » D'un coup se sont dressées devant mes yeux tant et tant de situations d'autrefois, quasiment identiques à celle de maintenant 

Et je suis sorti plein d'espoir

Et je souligne ce mot de véhémence, écrit tout à l'heure, à 16 heures, alors qu'il est maintenant 20 heures, et que je rentre d'une séance, en cave, où j'ai dit la crainte que je ressens, si vive, de n'arriver jamais à sortir de mon rôle de « petit dernier », où j'ai tenté, mais sans succès, de mimer cette manière d'être et de faire, et où j'ai senti, tout à coup, l'envie frénétique de cogner, de hurler, et d'injurier. Ce que j'ai pu faire… Et je suis sorti plein d'espoir… Plein d'espoir d'avoir pris davantage conscience de cette énorme violence enfouie de cette force dont je me prive, de ces armes que je retourne contre moi-même. Oui, plein d'espoir de pouvoir me décharger là de cette haine qui m'emprisonne et de vivre alors en égal » : Déployé. Mais dans combien de temps…


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Liberté d’expression


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Il est si difficile de parler dans l’église

Mais ce que j'ai senti justement hier, c'est l'énorme, c'est la formidable pression sociale – oui : formidable – qui réduit l'espace, qui paralyse l'expression, et qui est d'ailleurs faite de l'ambiguïté de tous. Et notamment de l'écart, bien sensible, entre les liens affectifs, si forts encore, si diffus en tout cas, et puis une certaine réalité différente des conduites et des pensées : entre les existences de fait et le flou d'un sentiment d'appartenance. Cela seul qui pourrait permettre aux chefs, à supposer qu'ils le désirent, d'établir un certain diagnostic, et peut-être d'envisager des soins, s'efface alors parce qu'on s'aime, parce qu'on tient à ce corps, parce qu'on ne veut pas compliquer la tâche des chefs, et pas non plus se compliquer la vie si celle-ci, dans l'accommodement, fonctionne encore… J'ai mieux compris hier qu'il soit difficile, si difficile, de parler vraiment – vraiment – dans l'Église. Et peut-être impossible pour l'instant…

Révoltes

Qu'est-ce que veulent dire mes frémissements, mes révoltes ? Que je maintiens encore hermétique, serré à fond, jusqu'à l'extrême, le couvercle de mon autoclave ? Qu'avec de l'air, et une issue, ma vapeur pourrait se faire active, et fonctionner au milieu des autres machines, comme elles, mes pistons cliquetant alors en cadence, au métronome, comme le font tous les autres, et sans contester l'ordre des choses ? Ou bien que je m'obstine à garder captive une harde qui se veut libre, qui en a le droit, dont les grands espaces, les forêts, les plaines sont le lieu naturel, et qui ne peut que se faire menaçante dans l'enclos qui l'enferme ? Ai-je l'espoir, un jour, de pouvoir m'aligner, ou dois-je me résoudre à mes chemins de traverse, et leur reconnaître un sens ?

Regrets

rien donc que pour cet échange épistolaire en vérité, non, je ne regrette pas d'avoir écrit, puis expédié, ces documents trop longs, trop didactiques, trop travaillés – mais c'était rigueur de ma part, scrupules d'exactitude – et qui, de ce chef, pouvaient irriter, agacer, voire paraître absolus dans leur lourdeur alors qu'ils me semblaient au contraire nuancés, et soucieux d'équité ! Non, je ne regrette pas ce risque. Il me vaut une brochette de trésors, pour l'esprit comme pour le cœur, pour l'avenir comme pour maintenant.

Obéissance

Il n'y a plus guère de croyants pour vous dire : « Vous, d'ailleurs, c'est simple, vous n'avez qu'à obéir… » Mais le prestige demeure, immense, mythique, de l'obéissance religieuse. La pièce de Hochwalder, « Sur la terre comme au ciel », dont l'obéissance religieuse est le thème essentiel, avait fait salle comble, il y a maintenant vingt ans au moins, pendant des mois et des mois. Elle aurait sans doute, aujourd'hui, les mêmes chances de réussite, à voir comment les « medias », experts dans le maniement d'un spectaculaire désiré des lecteurs, ont mis en relief l'obéissance globale des jésuites après l'intervention du Pape dans leur gouvernement. Les plus frondeurs eux-mêmes, la larme à l'œil, aiment à voir la légion défiler de son pas lent, derrière ses tambours et la chèvre qui précède, docile, ces hommes rebelles et mâtés.

Je ne suis pas fait pour l'Obéissance 

Voilà que je conteste encore ! Eh oui… Je ne suis pas fait pour l'Obéissance ! Personne, me dira-t-on, n'est vraiment « fait pour l'obéissance », c'est-à-dire pour cette intrusion, dans votre vouloir, de la volonté d'un autre. Et je ne suis pas aveugle sur ce qu'il y a de discipline nécessaire, dans tout ensemble, pour qu'il y ait vie commune et convergence des efforts. Mais c'est à la mise au pinacle de l'obéissance, comme forme englobante de l'existence, que j'en ai. Peut-être en vois-je mal le sens. Peut-être cela ne tient-il qu'à l'incertitude actuelle de mon vouloir. Mais peut-être aussi vois-je assez juste dans la déshumanisation dont elle est souvent la source. Et c'est cela qui me tient à cœur : l'humain. Cet « humain » qu'a fait Dieu.

Théologiens et tribunaux

Encore n'ai-je parlé jusque-là que des évêques. Mais lorsqu'il s'agit de théologiens, de certaines recherches pastorales, alors ce sont des procédures secrètes, des décisions brutales, voire impitoyables. Comment l'approche évangélique de l'homme peut-elle ainsi se pervertir ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'une perversion, d'un retournement. Je trouve à cet égard significatif qu'ait pu répondre dans l'histoire, à la parole de Jésus : « Je ne te condamne pas », l'expression de « Tribunal de la pénitence » encore en usage, il n'y a pas tellement longtemps, à propos de la confession. Il y a eu dans le passé le « Tribunal de l'Inquisition ». Il y a, pour les demandes d'annulation de mariage, le « Tribunal de la Rote ». Trois tribunaux, c'est évidemment peu, mais déjà trop. Et puis, pour trois tribunaux en titre, combien d'autres en esprit ! Cela fait peu de dialogue. Les prétoires sont plus le lieu de l’« instruction », de la joute et du « jugement » que de l'échange…


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Ecriture


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Ecriture, Une idée par paragraphe, pas plus

De ce carcan qui me cadenasse, je vois un signe, dont j'ai déjà fait mention, dans mon type d'écriture. Certes, il s'est assoupli. Oh combien ! C'est la première fois, sur si longue durée, que je me permets un « premier jet ». Mais mon lecteur, si j'en ai, aura remarqué l'égalité de mes paragraphes. C'est une hantise, obsessionnelle, à laquelle je n'échappe pas encore. Trace, trace puissante, d'une formation de rigueur. Besoin de logique… « Une idée par paragraphe, pas plus. Annoncée. Puis redite. Et si possible, entre temps, un exemple pour l'illustrer ! » Besoin, toujours, de serrer, de cerner, ma pensée : mots révélateurs, mots de combat, mots de siège. Je comprends qu'il me faille la danse – la danse d'autrui ! – pour échapper, provisoirement, à ces pesanteurs…

Ce qu’il coûte aux humains

Non : je n'aurais pas écrit ces pages, je n'en aurais pas eu l'outrecuidance, si je n'avais la conscience d'œuvrer, a ma manière, pour qu'il y ait une plus juste estime de ce qu'il en coûte aux humains, parfois, de se faire à ce monde, quels que soient ses charmes évidents.

Ma note. Ma note à moi. Faute, moi-même, d'avoir engendré.

Ce pèlerinage, je le refais maintenant, en ce 25 juin où j'écris ces lignes, neuf mois juste après avoir commencé la rédaction de ces pages : le temps d'un enfantement. Oui, je me relie à tous ces ouvriers agricoles de ma souche, à leurs ancêtres, aux ancêtres de leurs ancêtres, et puis à la famille humaine, toute entière, dont je suis le fils tout autant que de mes parents, et qui veut s'accomplir en chaque créature, « selon son espèce » comme dit la Genèse, et pour qu'elle soit féconde. Je fais mienne toute cette geste, je fais mien tout cet orchestre, avec l'espoir, l'espoir acharné, de pouvoir, à mon tour, y jouer ma partition. Ma note. Ma note à moi. Faute, moi-même, d'avoir engendré.

Retirer les choses de ma tête

A l'un des réveils, au début de mon séjour, une petite fille de cinq ans me parlait d'abondance… « Elle est très bavarde le matin », me dit alors sa mère. « Mais j'ai tellement de choses que je veux les retirer », répliqua la jeune personne… « Les retirer d'où ? » – « De ma tête ! Alors, je les dis… » Et comme un peu plus tard, après une promenade avec elle, je disais à cette gamine, précoce psychologue : « Alors, comme ça, tu as des choses à retirer… » – « Oui, me répondit mon interlocutrice, mais je ne les retire pas toutes parce qu'alors je n'en aurai plus… »

Emploi du temps

En mettant les choses au mieux, compte tenu des six heures que me prennent chaque semaine les séantes d'analyse, compte aussi tenu des heures de courses, de cuisine, de vaisselle, de ménage, et de mon besoin physique de marche à pied, je peux écrire en moyenne trois heures par jour, au grand maximum… Mais à condition d'exclure toute autre occupation.

J'écris pour survivre.

J'écris, je crois, pour exorciser ce juge en moi tellement impitoyable. Ces pressions auxquelles je veux me soustraire, ce sont ses incessants arrêts. Incessants ! … J'écris pour arriver à me rejoindre. Pour que l'amour l'emporte en moi sur la haine, et fasse siennes les forces intenses qu'elle véhicule. Pour m'apaiser. Pour être bon. Pour qu'enfin j'ouvre la porte à ma matière première : à toute ma « matière première ». Pour être réel.
J'écris pour survivre.


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Formation religieuse


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Au collège

Que devenait mon être dans ce Collège où nous allions tous à la Messe chaque jour, en rangs, où l'on distribuait en étude, chaque semaine, les bulletins de confession, où l'année s'ouvrait par une « retraite » obligatoire, où le minutieux organigramme des classes et des études – ne faisant aucune place, aucune, à l'expérience personnelle, au choix – informait les jours et les nuits du pensionnaire, emportant dans le même rythme, au mépris total des libertés, les manifestations de la vie religieuse ? Eh bien j'adhérais… Je tâchais, à travers toutes ces balises, de suivre le parcours en y mettant le plus d'amour possible. L'idée ne me serait pas venue de le contester. Et puis je n'avais que cette liberté-là. Du moins au Collège.

Un surveillant … impressionnant de majesté

Notre surveillant devait être âgé d'environ quarante cinq ans. Il avait l'allure, la carrure, le prestige des sénateurs romains en toge que l'on voyait dans les livres d'histoire. Lorsqu'il était sur son estrade d'étude, et plus encore en haut des dix marches qui dominaient la cour de récréation – face alors à nous, bambins de sixième à quatrième strictement alignés sur deux files parfaites – et que retentissait son deuxième coup de sifflet, celui qui décidait immédiatement du silence le plus absolu, il était impressionnant de majesté. Dois-je dire qu'il jouissait d'une autorité totale, inatteignable, et que pas un de mes camarades n'aurait osé devant lui, non pas même chahuter, mais se permettre seulement, pendant un temps, la plus petite incartade…

Pigeon, pigeonné moi-même

Ce cher abbé L, homme pieux, intérieur, ami de Jésus, mais absent du Monde, … Ce très cher Père homme de cœur, esprit sans aucun doute évangélique, mais grand pourvoyeur de « vocations » – c'était l'époque ! – et qui, sur la photographie des « retraitants de fin d'études », m'a près de lui, me serre le bras, comme sa prise, comme sa conquête… Mais je suis tenté d'être injuste, je le sais, envers ces deux hommes, car que pouvions-nous faire d'autre alors, eux et moi ! J'étais, pour leur zèle, un client de rêve ! Même pas un « pigeon », puisque je m'étais déjà, d'avance, pigeonné moi-même…

Dès ma seconde année de noviciat

Premiers voeux de novices Jésuites
Je suis atteint de forts maux de tête, et d'une sorte de mal intime. J'ai dix-neuf ans. Je prononce toutefois mes vœux. À ma seconde année de préparation de licence – j'ai vingt et un ans – le mal s'amplifie : je ne peux plus étudier que deux ou trois heures par jour, j'erre à ne rien faire, je vis des mois de malaise et de tristesse, que j'impute à des difficultés digestives.

Noviciat, le chant des fœtus

Au Noviciat, tout était clair, limpide : nous devions tout recevoir, tout, de la Compagnie, qui nous traiterait toujours avec bonté. … Nous n'aurions donc pas, plus tard, à vouloir « faire nous-mêmes nos « statuts » (nos choix, nos emplois) : non, il faudrait les recevoir, dans l'indifférence, dans l'obéissance, de la Compagnie. Nous n'aurions pas non plus à chercher ailleurs nos amis, nos distractions, nos joies : nous les trouverions dans la Compagnie. Que de mises en garde, alors, contre « l'extérieur » ! Et c'est vrai que la Compagnie se conduisait, et se conduit toujours d'ailleurs, comme une « mère » parfaite, exemplaire, et que nous pouvions chanter alors, à la fin des repas de fête : « … Que dans ton sein on vit heureux ! » Ce que d'aucuns, des impertinents, appelleraient plus tard – pas alors – « le chant des fœtus »…

Stupéfait… Choqué même

Il nous faisait des conférences d'après le livre des usages du noviciat, qu'il devait lire, puis commenter. « Des repas sont une nécessité douloureuse, certes, lui arriva-t-il de lire un jour dans ce manuel, mais qui peut quand même être sanctifiée… » Il y eut un temps de silence, puis ces simples mots, avec un geste élégant de la main qui lui était familier : « Vous comprenez bien, chers frères, que je ne prends nullement à mon compte cette affirmation stupide… » Je fus stupéfait. Stupéfait… Choqué même. Ce langage-là, c'était tellement aux antipodes de ce que nous entendions d'habitude ! Je suis très triste, maintenant, d'avoir alors été si stupéfait.

Discipline, il faut que ça gratte

Comment pouvait-il y avoir à la fois tant d'amour pour Jésus et tant de mépris pour la vie, tant d'initiation juste à la prière, à la contemplation, et si peu de confiance envers les êtres… Car s'il y avait toutes ces minuties, tous ces morcellements, c'était prétendument pour fonder des bases – de détachement, d'indifférence – des bases solides qui ne pourraient être pensait-on, qu'effritées et affadies. « Il faut que ça gratte », disait le compagnon du Maître des Novices, si bon cœur au demeurant, pour justifier ses pénitences, ses sévérités parfois odieuses.

Deux ans dans un collège

A la fin de ces quatre années de vie religieuse, je ne vais pas suivre le cours normal des études. Je passe deux ans dans un collège, avec des responsabilités, et l'incomparable soutien d'un autre ami. Je pars alors pour trois années de philosophie. Je reviens deux ans dans un autre collège. Puis ce sont mes quatre années de théologie. J'ai de plus en plus de peine, au cours de ces années d'études, à fixer mon attention, et je m'installe surtout dans une sorte de dédoublement intérieur – je vis comme sur deux plans – dont je m'imagine qu'il est le lot de tous et dont je ne supporte les effets éprouvants que grâce aux joies de mes responsabilités artistiques d'alors, qui sont ma prise d'oxygène, et qui vont avoir, dans ma vie, de plus en plus de place.

Deux thérapies successives

Deux interventions successives me font prendre conscience de ce qu'il y a d'étrange dans ce que j'éprouve. Après la première, trois années de « méthode Vittoz », avant d'être ordonné prêtre, m'apportent une certaine détente, mais ne touchent en rien les sources de mon malaise. Après la seconde, deux ans d'une psychothérapie analytique profonde – je suis sérieusement délabré lorsque je l’entreprends – me permettent au contraire, ensuite, de m'engager dans une vie active, intense, non sans que subsistent des symptômes tenaces, et ravageurs, de division intérieure. 



Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Oser

Voir aussi : Les peursLes joiesOserLe cinéma
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Trois enfants en moi

François Ader avec Chloé Ader fille de Martin son neveu
Alors il y eût comme trois enfants, et de plus en plus. L'un qui vivait chez sa mère, en sécurité. L'autre qui « se dévouait », qui vivait « pour les autres » : pour être « gentil ». Deux extrêmes… L'un passif, par pente naturelle, l'autre actif, pour « réparer », pour n'être pas coupable. Et puis un troisième enfant, qu'on ne voyait pas, que je ne voyais pas moi-même. Un présent-absent. L'enfant torturé par les questions sexuelles, et dont les forces agressives, sans cesse exacerbées, ne suscitaient pas en lui la vie, le déploiement, l'invention, le désir – l'envie d'être homme – mais allaient toutes, ou presque, à l'effacer, à le mettre à part, de côté. À le détruire même. L'enfant qui, maintenant, se retrouve là, sans désirs, sinon celui – mieux vaut tard que jamais – de pouvoir un jour être enfin là, bien là. Pour de bon.

Y veiller, est-ce se raidir frileusement en face de l'ombre.

Je ne m'en étonne pas. Il est dans la foulée d'une intervention, puis d'un langage, qui visent à « restaurer » avant même d'avoir « entendu ». Je suis bien d'accord que le climat décrit – et qui ne me semble être qu'une face du réel – peut effectivement « dissoudre des convictions, corroder les énergies intérieures, affaiblir la vigueur et la permanence des engagements durables, éprouver des fidélités tenues pour négligeables »… « Si l'on n'y veille », dit le texte. Mais « y veiller », est-ce se raidir frileusement en face de l'ombre. Ne serait-ce pas voir aussi qu'il y a du soleil. Et surtout, surtout, chercher à comprendre, chercher le sens, de ces jeux d'ombre et de lumière.

J'ose être, un peu

J'ai peur, bien sûr. Les découvertes dont je viens de parler, elles sont encore trop fraîches. Je me sens encore dans la glu du marginal, du contestataire. Glu salvifique : c'est là seulement, jusqu'à présent, que j'ai fonctionné « selon mon espèce » : selon mon désir. Je voudrais que s'ouvrent enfin les vannes, et que la pression des eaux, par cette écluse, me fasse naviguer au calme, maître du moins de ma barque, et sur le cours du fleuve : plus seulement dans les rapides, les bouillonnements ou les dérives. Mais où, quand, comment ? C'est encore pour moi l'inconnu. Mais le désir, quand même, a déjà fait des brèches. J'ose être, un peu, et m'en reconnaître, un peu du moins, un peu seulement, quelque droit.

C'est assez maintenant d'avoir vécu ceux des autres. C'est pour moi qu'il faut agir

François fait une pause en plaine écriture
Je ne veux plus maintenant faire le mort, ou le caméléon. Je ne veux plus « faire plaisir ». J'ai « fait » des choses. Oh oui, beaucoup. Mais toujours coupable, presque toujours, et sans jamais m'en reconnaître vraiment le droit. Alors je veux « être », désormais, donner sa chance à mon désir. Au mien. C'est assez maintenant d'avoir vécu ceux des autres. C'est pour moi qu'il faut agir… Las ! J'ai beau tenir ces propos résolus, le piège est là, le réseau que j'ai tissé – oui, moi : car c'est moi qui me suis fait tel – et je suis pris, comme l'araignée. Alors la tâche paraît immense, parfois insurmontable. Je n'en finis pas, chaque jour, sur le vif, de dépister ces faux mouvements, ces faux plis, ce système qui m'a gardé, oui, mais gardé de vivre, d'aimer, d'oser : d'être là, bien là. J'ai semé mon champ de mines. Elles sont longues à désamorcer.

Goût de vivre

« Pouvoir » être là, parler, entendre, respirer, aimer, agir, voir, jouer : « pouvoir » vivre, tel me semble être d'abord le problème du « Goût de vivre », avant même d'envisager d'alimenter ce goût par des « raisons de vivre ». Je me suis de plus en plus intéressé à ce qui pouvait faire obstacle à cet accueil, à ce déploiement en soi de la Vie. Les émissions de Daniel Karlin sur Bettelheim, les réflexions de Françoise Dolto sur l'Évangile, je les ai vues, lues, et j'ai écrit sur elles, dans le mouvement même qui me rendait attentif aux émissions d’« Holocauste », à la personnalité de Guy Marie Riobé, et qui me poussait à en écrire aussi : le respect de la vie et de son développement. Ce que j'aimais justement chez Alfred Delp, chez Teilhard. Tout cela résonnait en moi-même, y constituait une raison de vivre… 



Voir aussi : Les peursLes joiesOserLe cinéma

Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader