jeudi 12 avril 2012

Psychanalyse


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Cet homme m’ouvrit à la perspective d’une cure analytique

Je ne veux pas m'attarder ici dans des détails, ni décrire avec quel tact, quelle intelligence, cet homme perspicace, exceptionnel, m'ouvrit, il y fallut du temps, à la perspective d'une cure analytique contre laquelle mon être se rebellait avec force.

C'est qu'explose alors tout ce que l'on se cache

Il y a de quoi stupéfier, ici, quiconque n'est pas familier de ce qu'est une cure analytique. … C'est qu'explose alors tout ce que l'on se cache, et que l'on compte sur ce qui en « retombe » pour y découvrir ce que secrète le cœur. C'est que le petit enfant toujours là, mais assujetti, tapi, parle enfin, fort, et que l'on espère apprendre ainsi ce qu'il éprouve et dont le silence, si souvent, empoisonne l'atmosphère.

Quelle chance, déjà, de savoir que l'on peut tout dire

Avant que ne s'approfondisse la relation qu'est essentiellement une cure analytique, avant que ne s'intensifie cette relation – et qu'on ne découvre en soi-même d'abord, à cause de ceux qu'on y maintient indument encore, les vrais obstacles à la parole – quelle chance, déjà, de savoir que l'on peut tout dire. Tout : tout.

Le moi qui s’effrite

Voici cette phrase « J'ai employé, je crois, la plus grande part de mon énergie à maintenir l'édifice de mon moi simulé, qui s'effritait ». Mon souvenir, au-delà des différences, portait donc sur trois points : le sentiment d'une épuisante débauche d'énergie, l'existence d'un « moi » différent du « moi réel », la perception d'un effritement. J'aurais beaucoup à dire sur le déploiement d'énergie défensive qui se solde de plus en plus une impression d'immense fatigue. Mais c'est la perception d'un effritement qui me frappe le plus, et qui me rend ces jours-ci l'écriture difficile.

La cure analytique

J'ai conscience de ce que je dois à tous ces hommes. Aucun d'eux, toutefois, n'aurait pu faire pour moi ce que je dois à mes deux cures analytiques : d'avoir ouvert la cave où grouillaient en moi depuis l'enfance, emmêlées, inextricables, les forces de vie et les forces de mort, et d'avoir permis que s'élargissent ainsi les indispensables soubassements de mon être..
Mais d'avoir pu lentement – d'une lenteur égale à l'épaisseur de mes carapaces – dénouer les chaînes en moi de l'amour captif, non, je n'en remercierai jamais assez ceux qui furent près de moi les témoins très personnels, très indépendants, des découvertes géniales de Freud, et c'est une dette de poids, de grand poids, qui m'engage, et même davantage : l'appartenance à une certaine famille de regards sur l'homme.

Le respect

Le respect, cette autre face de l'amour. Oui, dans la prise en considération de moi-même par cet autre, contagieuse à la longue, j'ai fait l'expérience de l'amour, de la compassion. Il y a des éclairages qui seraient insupportables, tant ils débusquent d'attachements frénétiques, si l'on ne se savait, à l'évidence, aimé. Et c'est là, dans cette conjonction d'amour et d'acuité, d'exigence et de compassion, que se fonde la possibilité d'aimer, de s'aimer, que se dénouent, au feu du respect et de la foi dans l'homme, les chaînes qui entravent l'amour. C'est du moins ce que je crois avoir vécu.

Ces souffrances, c'est sur elles que l'analyse travaille

« Lorsque le cyclone s'installe, … que tout est toujours ailleurs, jamais à des places familières, et qu'il y a juste assez de petites lueurs, par moments, pour se sentir sans repères, sans aucun repère, sans rien d'humain ni d'habituel, alors le malheur est pire. Ces souffrances, ces accalmies, c'est sur elles que l'analyse travaille : pour que le bric-à-brac s'organise, pour que les morceaux trouvent leur place, forment un tout, sans rien d'exclu. Pour que la vie circule. »

Le singulier et le faux-semblant

S'agissant du parcours analytique, la difficile expérience du « singulier » va de pair avec la découverte, éprouvante, cuisante, de tout le faux-semblant que l'on croyait vertueux, des roueries de ce qui se croyait Amour et n'était que calcul pour s'assujettir autrui, ne pas le perdre, ne pas se perdre…

Le père, l’analyste.

« J'imagine que si nous étions en bas, j'aimerais vous prendre la tête, vous la caresser, comme Tarzan, en vous disant : « Mon Père… » Et j'ajoute tout à coups « Je pense à une chose, que je n'ose pas vous dire… » Et je la dis finalement : « J'ai envie de vous dire, bien que je sache que cela n'entre pas dans le cadre d'une relation d'analysant à analyste : « Prenez-moi la main… »
Bien sûr, j'éprouve … le besoin d'un père, d'un père qu'en fait je n'ai pas eu… Je rappelle ce manque. J'en parle. Je fais état de la pudeur extrême de notre père. Je cite ce mot de l'un de mes frères : « Il ne nous a sans doute pas embrassés dix fois durant toute sa vie. » J'éprouve un besoin de tendresse de la part de ce père… « De vous, mon père… » … L'analyste n'a pas ouvert la bouche de toute cette séance. C'est avec une sorte de ferveur contenue, lorsque je pars, qu'il me serre la main…

Interventions, précieuses interventions.

Or moi, ces voitures-là, je veux dire ces interventions, je les dévisage, je les scrute, je les dissèque. Tout au moins jusqu'alors. Je vois, en chacune d'elles, un gage à ne pas perdre. Une pierre précieuse à recueillir. Autant de cailloux blancs pour me conduire à moi-même, à ce moi qui me fuis sans cesse. Et tandis que j'écoute, oreilles grandes ouvertes, et la main parfois même en pavillon pour n'en rien perdre, je mémorise déjà, pour pouvoir, une fois chez moi, noter ces pistes, ces flèches : et leur frémissement surtout.

L'intervention se fait alors plus incisive à mon égard 

L'intervention se fait alors plus incisive à mon égard : « C'est là qu'est la difficulté pour vous : dans une sorte de confusion dont vous ne sortez pas. L'autre vous pénètre, parce que vous l'attirez en vous tant vous avez besoin de lui. Alors vous ne reconnaissez pas en vous l'individu. Vous n'êtes pas une foule, pas une masse… » Je parle de ma pente à m'en remettre à l'autre, à ne pas tenir compte de ce que je ressens… « J'insiste sur l'importance de cette situation de confusion. Elle explique votre réaction au moment de ce départ en vacances d'U. C'était alors comme si elle était vous et qu'il vous paraisse invraisemblable qu'elle vous quitte. Même chose lorsque vous lui demandez avec qui elle est allée à l'Opéra : c'est comme si elle était vous, ce qu'elle n'est pas… (…) Vous ne pouvez pas changer les autres : ils sont ce qu'ils sont… »

Silence

A la fin de la séance, j'ai envie et peur de lui parler de mon travail d'écriture : comme il ne reste que peu de temps, j'en profite pour me taire…

Mais vous, ensuite, vous en faites ce que vous voulez

 « Peut-être… Mais il y a de votre part toute une dramatisation. S'il y a des choses qui vous gênent, vous vous en défaites. Vous mettez tout dans un carton, puis à la poubelle… Les gens sont ce qu'ils sont. Évidemment ils pourraient vous consulter. Mais il y a aussi, quand on fait un cadeau, l'élément de surprise… Vous voudriez les gens autres qu'ils ne sont. Il y a là quelque chose de tyrannique. Et aussi de persécutoire : comme s'ils vous agressaient. Ils font ce qu'ils peuvent. Ce n'est pas « parfait ». Mais vous, ensuite, vous en faites ce que vous voulez… » Je suis remué par cette longue intervention. Je me sens dépassé. C'est au-delà de mes forces Vraiment… 

Déplacer une séance

Je demande donc à l'analyste s'il peut me déplacer à d'autres jours les deux séances que je manquerais… « Cela ne me paraît guère possible… C'est plutôt embouteillé en ce moment… » Long silence. Puis fin de la séance. Une fois dans le métro, je réagis vivement : « Il est tout miel pour me demander à moi des changements d'heure et il ne peut pas me rendre ce service ! Et puis pourquoi se tait-il depuis plusieurs séances ? » Je me mets à marmonner, violemment, sur ce mutisme, à envisager toutes les hypothèses qui peuvent l'expliquer… Et deux jours après, le 14 octobre, je sors avec véhémence mon venin… : « … et tout ce que je dis pour être gentil… » –… !

La peur de mourir

 « Face à ces peurs limitées, poussez les choses au pire… Bon. Eh bien ce n'est pas dramatique, vous restez quand même vivant… Les peurs montrent que nous sommes vivants, et parce que vivants, vulnérables. Évidemment il y a la peur de mourir… Mais je ne crois pas que ce soit la peur de la mort réelle qui nous touche le plus. Bien sûr, nous savons que la mort va venir un jour… Mais la peur de mourir me semble surtout faite de la peur d'être un mort vivant. De vivre sans vivre. Sans être reconnus dans ce que nous sommes par ceux que nous aimons, auxquels nous tenons, et qui aboutit à une sorte d'exil intérieur… On voit cela dans la vie de certains grands hommes, et d'hommes tout court… La peur de ne pas être reconnu dans ses itinéraires singuliers… Nous en avons parlé à propos de Teilhard. »

Intervention

L'intervention ne vint qu'à la fin de la séance : « J'ai été très touché, tout à l'heure, par ce que vous avez dit des mots de votre Mère : « pour eux »… Je pensais que le titre de ce que vous écrivez maintenant pourrait être : « Pour moi ». Avant d'en venir à pouvoir dire un jour : « Pour nous… » Mais on ne peut pas arriver au « pour nous » sans être d'abord passé par le « pour moi »… Que de choses en si peu de mots : et sur la route à parcourir encore, et sur ma pente à me nier, et sur ses origines possibles… Vraiment, oui, quelqu'un d'important : de très important.

Amour

Je ne vous apprendrai pas que l'amour, tout amour, et surtout celui de l'homme et de la femme, est le lieu privilégié de cette expérience conjointe des oasis et de l'aridité, de la luxuriance et du désert. C'est pour cela qu'il est mystère, qu'il reste toujours mystère, et le lieu du désir.

Je pense à l'interdit de l'inceste

Et je dis alors, dans la foulée de ces souvenirs, ma rancœur à l'égard de cette femme… – « Qui a été votre femme… » Cette interruption soudaine, inattendue, me laisse stupéfait, perplexe, et m'ouvre à un champ plus large, qui jaillit brusquement à ma conscience ce… « Ce mot, je l'entends en deux sens. Je pense d'abord à U., bien sûr. Mais à ma Mère, aussi, dont j'ai été tellement proche. Si bien que, devant mon impuissance en face d'U., je pense à l'interdit de l'inceste… » – « Sûrement. Et cela s'est étendu à toutes les femmes… Sauf aux prostituées, qui ne sont pas « des femmes »… »

Il y a des gens amoureux qui cessent de l’être

Il fut significatif en ce 2 février que je me sois rappelé sans peine, et d'emblée, cette réflexion ci de l'analyste – « Mais quand reconnaîtrez-vous que cela arrive dans les amours humaines, qu'il y a des gens amoureux qui cessent de l'être… U. est libre, si elle veut avoir l'expérience de son autonomie… » – et que je ne me sois souvenu qu'ensuite, après les avoir oubliés, de ces propos qui m'avaient cependant tellement frappé : « Vous attendez d'U. qu'elle vous soit fidèle à jamais comme si elle devait avoir pour vous l'amour d'une Mère qui n'oublie pas ses enfants… ».

Respecter la liberté d’une femme normale

« Quand vous allez avec une prostituée, vous ne pensez pas aux autres clients… Il vous arrive même de dire : « Je reviendrai plus tard… » Et vous êtes alors tout à votre désir… Vous ne pouvez pas en agir de même, en respectant sa liberté, avec une femme normale ? Vous qui parlez liberté, respect, condition humaine, et qui témoignez de ces valeurs, vous rendez vous compte, là, de votre main mise ? … Ceci dit, vous avez pu surmonter le choc, vous avez passé une bonne soirée, vous avez accédé à une autre relation… » – « Oui, mais j'ai le sentiment d'avoir mis de côté, chez moi, quelque chose d'extrêmement fort… » – « Oui, une revendication dont vous avez à faire le deuil au bénéfice d'une expérience plus satisfaisante de vous-même… Vous me faites penser au petit enfant qui trépigne de rage : « Maman, Maman, Maman, Maman, Maman… »

Cela peut durer à perpétuité

Ce qui m'a le plus « touché », ce qui a fait mouche, ce sont ces mots de l'analyste : « Mais ce n'est pas « fini »… Il n'y a pas de conclusion… Cela peut durer à perpétuité… » D'un coup se sont dressées devant mes yeux tant et tant de situations d'autrefois, quasiment identiques à celle de maintenant 

Et je suis sorti plein d'espoir

Et je souligne ce mot de véhémence, écrit tout à l'heure, à 16 heures, alors qu'il est maintenant 20 heures, et que je rentre d'une séance, en cave, où j'ai dit la crainte que je ressens, si vive, de n'arriver jamais à sortir de mon rôle de « petit dernier », où j'ai tenté, mais sans succès, de mimer cette manière d'être et de faire, et où j'ai senti, tout à coup, l'envie frénétique de cogner, de hurler, et d'injurier. Ce que j'ai pu faire… Et je suis sorti plein d'espoir… Plein d'espoir d'avoir pris davantage conscience de cette énorme violence enfouie de cette force dont je me prive, de ces armes que je retourne contre moi-même. Oui, plein d'espoir de pouvoir me décharger là de cette haine qui m'emprisonne et de vivre alors en égal » : Déployé. Mais dans combien de temps…


Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

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