Voir aussi :La Compagnie de Jésus, Des sacrements, Vie religieuse
Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader
Religion masochiste
Je ne veux plus de cette religion masochiste dont les
relents, quoiqu'on dise et quoi que on pense, traînent encore, empestant des
routes assez chargées déjà de tristesses. Que l'on regarde les hommes, d'abord,
les hommes et leurs détresses. Que l'on dépasse les apparences. Que l'on
regarde aux cœurs. Et l'on verra s'ils n'ont pas besoin de lueurs, avant tout,
d'espoir, et pas d'abord d'être morigénés.
Guérison de « l'état religieux »
Si j'en ai contre « l'état religieux », si j'ai peur de ces maisons linéaires, si
je redoute ces vies à part, et soumises, si je crains ce cadrage des élans et
des appels, c'est que cette atmosphère est pour moi le symbole, et la
survivance aussi, de cet air raréfié qui m'a fait craintif, impuissant, timoré.
Ce sont là des fantasmes, je le sais. Je le sais très bien. Mais c'est ainsi.
Revenir à cette « vie » d'autrefois – d'avant que je ne m'enfante
quelque peu, quelque peu seulement, dans les tâches et dans les liens de trois
décades – je le ressentirais comme un plongeon dans une eau stagnante, ou bien
encore comme un retour sur les lieux mêmes d'une épidémie, d'une contagion dont
je ne guéris qu'à grand peine, et lentement, lentement, si lentement.
La vie religieuse
J'évoque là, je le sais, un problème difficile, difficile,
et surtout complexe. La « vie religieuse » est d'abord élan,
« milieu » favorable à cette poussée, et c'est à l'aune, seulement,
de ce jaillissement et de cet embrasement que peuvent s'évaluer les conduites
ponctuelles, et leur sens. Il n'est pas possible de la réduire à la seule
observance des « vœux de religion ». Mais ces repères plus visibles
n'en restent pas moins pour l'Église instituée la balance où les vies se
jaugent et pour beaucoup de croyants l'idéal à l'horizon de leurs existences.
L'équivoque s'accroît lorsque l'observance, dans les consciences, n'est plus
« porteuse », mais obstacle, et qu'elle éteint les flammes, celles
qui brûlent encore, au lieu d'attiser le feu. Il y a de toute façon nécessité
de voir clair, et de chercher – oui, de chercher – par où passe vraiment la
Vie : où naît-elle, où meurt-elle, où s'étiole-t-elle ?
Se faire engueuler au nom d’une religion d’amour
Je ne récuse pas le langage du « mieux ». Non. Ni
l'appel à ressembler, par davantage d'amour, au Père des Cieux. Non plus. Mais
j'en ai – oui, j'en ai – contre ce langage institutionnel, de perfection, qui
aboutit si souvent à détourner le regard, et l'admiration, de ce que la Vie
fait déjà, d'elle-même, dans nos vies. Regarder, voir, admirer, s'étonner,
s'enchanter. « Pourquoi faut-il donc
qu'à l'Église, chaque dimanche, on se fasse eng… au nom d'une religion d'amour », me disait un de mes amis
lorsqu'il fréquentait encore chaque semaine, il y a de cela longtemps, ce lieu
de reproches… « L'état religieux »,
qui se veut un appel, je le ressens, oui, dans ses ruptures d'avec les besoins
vitaux, comme un reproche à l'existence, comme un refus de la voir, en tout
cas, dans ce qu'elle a d'immense, et de divin déjà.
Dieu un maître dur et sévère
Et puis, quelques jours après, je priais au fond d'une
Église, appelant à l'aide comme d'habitude, criant vers Dieu, demandant de voir
clair, répétant avec espoir mes phrases favorites – « qui demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvre »
– mais c'était au fond, je m'en rendis compte alors, dans une attente anxieuse,
et dépourvue d'abandon, fort peu conforme à la confiance qui me fait entrer,
pour appeler « au secours »,
dans les Églises et chapelles de mon quartier. Et j'eus alors un trait de
lumière… Je réalisai que l'image de Dieu, dans le tréfonds de moi-même – et
quoi qu'il en soit de mes paroles, de mes convictions, de ce que je crois –
c'était celle d'un adversaire, d'un grand méchant, d'un tortionnaire même, tout
prêt à punir, à « coincer ». D'un malfaisant qu'il faut apaiser, se
concilier. « D'un maître dur et
sévère ».
Prêtrise
Je touche là, je le sais, une question très difficile, et
je ne suis pas armé pour donner à ce que je ressens des contours suffisamment
fondés. Je vais donc m'en tenir à ce que je ressens. Ce sacerdoce, j'en suis
bien d'accord, nous le recevons d'une Église. À deux titres. D'abord par
l'Ordination de l'Évêque. Puis parce que les hommes, et le corps des croyants,
font du prêtre en nous. Mais ce don, cette force, ils ne planent pas en l'air,
à charge pour ceux qui les reçoivent d'avoir sans cesse le regard ailleurs. Ils
s'enfouissent dans un sol, dans une terre qui a déjà ses sucs, des sucs eux
aussi qui disent Dieu, et c'est ce mélange, cette symbiose, qui vont un jour –
ou jamais – devenir explosifs, et charger l'atmosphère, alors, d'un souffle à
chaque fois neuf.
Dieu c’est pour moi
Je me suis donc interrogé, de nouveau, sur mes lueurs. Je
me sens d'une caravane, et dans un compagnonnage. Avec tous, mais avec les plus
proches d'abord. Et d'abord encore avec moi-même. Cette marche ensemble, elle
est faite, à chaque pas, de multiples liens, porteurs chacun d'une force. Oui,
multiples, et à chaque pas. Le passé est en effet là, tout entier, chaque fois,
dans l'instant, et déjà l'avenir aussi… La substance de ces entrelacs, le pain
de ces échanges, voilà Dieu pour moi. Si Dieu est… Un océan tout entier dans
chaque goutte d'eau. Infiniment plus que le peu qu'on en voit. Et peut-être
même pas ce qu'on croit en apercevoir. Mais ce qui se passe, ce qui se vit des
uns aux autres, c'est Lui, c'est bien Lui. Sa respiration, son souffle, « le souffle de vie », c'est l'air
même de nos poumons, et bien plus, infiniment plus. Cette Présence, je désire
en vivre. C'est elle, pour moi, sous les apparences du pain et du vin. « L'Amour, la plus universelle, la plus
formidable et la plus mystérieuse des énergies cosmiques »
C’est par les hommes que me vient Dieu
C'est alors dans mon cœur, dans le mien, qu'un choc s'est produit,
qu'une émotion s'est comme emparée de mon être même, et de tout mon corps.
M'entendre dire avec cette évidence, en ce matin de Pâques, par ce neveu que
j'aime, et qui plus est sur la route, en plein vent, ces paroles qui fondent
l'Univers, m'a fait éclater le cœur, et j'ai mieux compris, quelque peu du
moins, la clef de mes bonheurs. C'est par les hommes – par les hommes : et
par les femmes ! – que me vient Dieu. C'est sur leurs chemins, directs ou
de traverse, que m'apparaît une Présence. C'est auprès d'eux, d'abord, qu'il
arrive à mon cœur d'être « brûlant »
d'autre chose et de me percevoir, en même temps qu'amoureux d'eux, amoureux
d'un Autre : de Quelqu'un.
Jésus, présence humaine
c'est toute
l'histoire humaine qui la fait apparaître – par toutes ces rencontres,
foisonnantes de vie, de chaleur, qui sont la trame des évangiles : Jésus
et les malades, Jésus et Zachée, Jésus et ses disciples, Jésus et
Marie-Madeleine, Jésus et le jeune homme, Jésus et Lazare, Jésus et les
enfants, Jésus et le paralytique, Jésus et les foules, Jésus et Nicodème, Jésus
et la Samaritaine… Autant d'approches de Dieu, autant, en réplique, et en
connivence, de « présences » humaines.
Symboles
Symbole, l'humanité même de Jésus. Symbole, son corps.
Symboles, ses gestes. Symbole, sa naissance, sa mort, puis son rejaillissement.
Symboles, ses paraboles dont certaines, si déroutantes, nous laissent tout
pantois, et nous font pressentir en Dieu le « Tout Autre » en face
duquel notre connaissance s'épanouit en inconnaissance, mais en inconnaissance
qui nous désigne un mystère bien plus large que ce que nous pouvions imaginer.
Symboles sur ma table, l'autre jour, ce pain, ce vin, ces gestes, cette coupe
et ce calice qui sont pour moi, Bénédicte, à travers ta mère et ta grand-mère,
une présence de tes oncles éloignés ou disparus : les deux Philippes. Symboles
dont l'habitude que nous en avons masque parfois à nos yeux, et relativise en
quelque sorte, l'insondable mystère dont ils sont le signe.
Parce que l'espace, alors, s'élargissait
Mais peut-être dois-je ici donner la première place, dans
ce « feu vert » qui me permit d'écrire, aux pensées d'Eliade, de
Baudelaire, de Leroy Ladurie. Parce que ces pensées-là « venaient
d'ailleurs », et pas de l'institution dont je suis le mandataire. Parce
que « Dieu », grâce à elles, ne m'apparaissait plus enfermé, rétréci,
parqué dans la clôture de cette institution qui donne si souvent l'impression
de se l'être approprié. Parce que l'espace, alors, s'élargissait : bien au-delà
de ces murs, de ces rites, de ces langages où l'Église nous dit d'entrer,
chaque dimanche, si nous voulons que s'éclaire l'énigme de notre existence… Ce
qu'il y a de ma part, dans ce « non » très ferme aux « choses
religieuses », c'est un refus de cette institution dont je n'arrive pas
encore, à mon âge, à les distinguer.
Concile
J'ai été saisi, oui, saisi, de voir tant de ces hommes,
venus de pays engagés dans des guerres, extérieures ou fratricides, ou bien
encore assujettis à des dictatures, réclamer de l'Église qu'elle soit
appelante, « prophétique » : qu'elle tienne un langage de vérité
sur les injustices, sur « la gravité des blessures d'un monde cassé »,
qu'elle agisse pour la paix, qu'elle participe aux souffrances de l'humanité,
et qu'en face des conflits, des guerres, des divisions, des exploitations, des
haines, elle apparaisse vigilante, réconciliatrice. Vigilante, aussi, face aux
évolutions d'un monde qui s'éclate, où les couples se disloquent, où les amours
se cherchent, et aussi la liberté d'être, où semble également s'affadir le goût
de vivre, et de donner la vie… Les analyses ont été rudes, cruelles.
Jésus, pour moi
Le Jésus que je vois alors, en un éclair, c'est celui qui
s'approche des foules. Qui guérit le paralytique. Qui rend vivante la main
sèche. Qui « réveille » la petite fille de Jaïre, et Lazare, et le
fils de la veuve. Qui pardonne à la pécheresse, à la femme adultère. Qui brise
l'étau des rapports factices. Qui renverse les tables des changeurs, la
prétention des lévites et des prêtres, et la Loi lorsqu'elle ignore l'homme.
Celui qui, sur les hommes, a fait passer, pour un temps bref, un souffle venu
d'en Haut, de très haut, d'un cœur large, qui sait ce qu'il y a dans l'homme, et
qui parle de l'eau vive, par exemple, et du don de Dieu, à une femme qui a eu
cinq maris, sans paraître, sur l'heure, attacher lui-même trop d'importance à
ce détail…
Bonheur
J'ai été heureux – oui, profondément heureux – de vivre
Noël avec ces enfants, ces hommes et ces femmes. Heureux de cette foule en
prière, et contente. Heureux de faire, avec toute l'intensité dont je suis
capable, les gestes de Jésus, et de les accomplir avec le maximum de
recueillement. …. Heureux de célébrer avec des familiers que j'aime. Heureux de
privilégier la prière, le silence. Heureux de chanter aussi. Et puis heureux de
répondre aux questions de ces enfants, de dire là que Dieu nous aime, de parler
de Jésus fait homme, et d'attirer l'attention de tous sur eux-mêmes, sur leur
vie, sur leur importance, sur le respect qu'ils se doivent puisque justement
Dieu s'est fait homme… Heureux : oui, heureux.
Compassion
Alors voici le mien quand je regarde, à travers les
évangiles, la forme humaine de Jésus. Je vois avant tout une immense, une
incommensurable compassion. Et puis je vois cet amour, si bon pour nos
faiblesses, je le vois bousculer d'un grand vent nos routines, nos barrières,
nos murailles, nos défenses… Ce n'est pas pour nous malmener, comme on peut
être tenté de le croire. C'est pour nous sortir de nos ornières, de nos
tanières. Pour nous livrer nous-mêmes, à notre tour, au souffle de la
compassion. À ce souffle qui fait basculer les façades et qui nous ouvre sur
l'intérieur des choses, sur le cœur des hommes, le nôtre d'abord, et celui des
autres… « Alors, il se fit un grand
vent et tous furent remplis du Saint-Esprit ».
Voir aussi :La Compagnie de Jésus, Des sacrements, Vie religieuse
Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader
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