jeudi 12 avril 2012

Oser

Voir aussi : Les peursLes joiesOserLe cinéma
Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader

Trois enfants en moi

François Ader avec Chloé Ader fille de Martin son neveu
Alors il y eût comme trois enfants, et de plus en plus. L'un qui vivait chez sa mère, en sécurité. L'autre qui « se dévouait », qui vivait « pour les autres » : pour être « gentil ». Deux extrêmes… L'un passif, par pente naturelle, l'autre actif, pour « réparer », pour n'être pas coupable. Et puis un troisième enfant, qu'on ne voyait pas, que je ne voyais pas moi-même. Un présent-absent. L'enfant torturé par les questions sexuelles, et dont les forces agressives, sans cesse exacerbées, ne suscitaient pas en lui la vie, le déploiement, l'invention, le désir – l'envie d'être homme – mais allaient toutes, ou presque, à l'effacer, à le mettre à part, de côté. À le détruire même. L'enfant qui, maintenant, se retrouve là, sans désirs, sinon celui – mieux vaut tard que jamais – de pouvoir un jour être enfin là, bien là. Pour de bon.

Y veiller, est-ce se raidir frileusement en face de l'ombre.

Je ne m'en étonne pas. Il est dans la foulée d'une intervention, puis d'un langage, qui visent à « restaurer » avant même d'avoir « entendu ». Je suis bien d'accord que le climat décrit – et qui ne me semble être qu'une face du réel – peut effectivement « dissoudre des convictions, corroder les énergies intérieures, affaiblir la vigueur et la permanence des engagements durables, éprouver des fidélités tenues pour négligeables »… « Si l'on n'y veille », dit le texte. Mais « y veiller », est-ce se raidir frileusement en face de l'ombre. Ne serait-ce pas voir aussi qu'il y a du soleil. Et surtout, surtout, chercher à comprendre, chercher le sens, de ces jeux d'ombre et de lumière.

J'ose être, un peu

J'ai peur, bien sûr. Les découvertes dont je viens de parler, elles sont encore trop fraîches. Je me sens encore dans la glu du marginal, du contestataire. Glu salvifique : c'est là seulement, jusqu'à présent, que j'ai fonctionné « selon mon espèce » : selon mon désir. Je voudrais que s'ouvrent enfin les vannes, et que la pression des eaux, par cette écluse, me fasse naviguer au calme, maître du moins de ma barque, et sur le cours du fleuve : plus seulement dans les rapides, les bouillonnements ou les dérives. Mais où, quand, comment ? C'est encore pour moi l'inconnu. Mais le désir, quand même, a déjà fait des brèches. J'ose être, un peu, et m'en reconnaître, un peu du moins, un peu seulement, quelque droit.

C'est assez maintenant d'avoir vécu ceux des autres. C'est pour moi qu'il faut agir

François fait une pause en plaine écriture
Je ne veux plus maintenant faire le mort, ou le caméléon. Je ne veux plus « faire plaisir ». J'ai « fait » des choses. Oh oui, beaucoup. Mais toujours coupable, presque toujours, et sans jamais m'en reconnaître vraiment le droit. Alors je veux « être », désormais, donner sa chance à mon désir. Au mien. C'est assez maintenant d'avoir vécu ceux des autres. C'est pour moi qu'il faut agir… Las ! J'ai beau tenir ces propos résolus, le piège est là, le réseau que j'ai tissé – oui, moi : car c'est moi qui me suis fait tel – et je suis pris, comme l'araignée. Alors la tâche paraît immense, parfois insurmontable. Je n'en finis pas, chaque jour, sur le vif, de dépister ces faux mouvements, ces faux plis, ce système qui m'a gardé, oui, mais gardé de vivre, d'aimer, d'oser : d'être là, bien là. J'ai semé mon champ de mines. Elles sont longues à désamorcer.

Goût de vivre

« Pouvoir » être là, parler, entendre, respirer, aimer, agir, voir, jouer : « pouvoir » vivre, tel me semble être d'abord le problème du « Goût de vivre », avant même d'envisager d'alimenter ce goût par des « raisons de vivre ». Je me suis de plus en plus intéressé à ce qui pouvait faire obstacle à cet accueil, à ce déploiement en soi de la Vie. Les émissions de Daniel Karlin sur Bettelheim, les réflexions de Françoise Dolto sur l'Évangile, je les ai vues, lues, et j'ai écrit sur elles, dans le mouvement même qui me rendait attentif aux émissions d’« Holocauste », à la personnalité de Guy Marie Riobé, et qui me poussait à en écrire aussi : le respect de la vie et de son développement. Ce que j'aimais justement chez Alfred Delp, chez Teilhard. Tout cela résonnait en moi-même, y constituait une raison de vivre… 



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Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader


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