Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader
Chasteté
« De la chasteté
il n'y a pas grand-chose à dire, puisque aussi bien la nôtre doit imiter celle
des anges… » C'est à peu près ce que dit du deuxième vœu le
« Sommaire » des Constitutions de la Compagnie de Jésus. Je n'en
savais pas beaucoup plus en entrant moi-même au noviciat des jésuites en
octobre 1934, à dix-huit ans et un mois.
Ma présence dans la Compagnie de Jésus
J'ai d'abord, à l'encontre de ma présence dans la Compagnie
de Jésus, une objection qui la vise, elle, et son mode de gouvernement. Ou
plutôt qui concerne – comment dire ? – l'adhésion qu'elle attend de ses
membres. Il est surprenant, et significatif somme toute, que j'aie pu dire, dans
la première partie de ces réflexions, n'avoir jamais eu de difficultés quant à
ce qui regarde l'obéissance religieuse. En fait, à deux reprises au moins, j'ai
protesté publiquement, avec force, et d'abord auprès des responsables
concernés, contre des manières de faire attentatoires, me semblait-il, à
l'esprit d'amour d'un groupe évangélique.
Les points majeurs de la Compagnie de Jésus
Comment donc est-ce que je me situe devant les points
majeurs de la Compagnie de Jésus. Devant les trois premiers, d'abord, ceux qui
m'apparaissent fondamentaux : le désir de suivre Jésus, d'aider les
humains, cette « suite » et cette « aide » se vivant au
sein d'un « corps », d'une communauté de frères. Oui, je fais mien ce
désir, et ces buts-là. Je crois que mon existence en témoigne, comme elle
témoigne du regard mystique de Saint Ignace sur l'homme au cœur du créé, sur
Jésus, le Jésus de l'histoire, le Jésus familier des Évangiles, au centre de
l'Univers, sur la présence en toutes choses, partout, du « Donateur »,
qui nous habite et qui nous aspire.
Le vœu spécial d'obéissance au Pape
Un autre point majeur de la Compagnie de Jésus est sa
volonté de servir l'Église, l'Église Universelle, et qui se concrétise dans le
vœu spécial d'obéissance au Pape pour toute mission que celui-ci confierait à
l'ordre ou à l'un de ses membres. Prononcé seulement par les religieux
« profès », ce vœu n'ajoute rien de plus, dans les faits, à la mise
au service du Pape qui caractérise la Compagnie dès son origine. Il lui donne
davantage de relief. Il contribue parfois à en fausser la perspective. Car si
Saint Ignace tient à ce que le jésuite « sente avec l'Église » –
notamment avec l'Église hiérarchique – ce vœu dont l'Objectif est très précis
n'oblige nullement, en tant que tel, à conformer ses pensées à celles du Pape.
C'est pourtant ce que beaucoup croient.
Introduit dans les écartèlements de la Compagnie de Jésus
Ainsi fus-je introduit vitalement dès le Collège, à travers
des « hommes », dans les écartèlements quasiment constitutifs de la
Compagnie de Jésus. Tensions entre « rigueur » et « cœur »,
entre « rationnels » et « affectifs », entre
« ascètes » et « mystiques » ? Non, je ne crois pas
qu'il puisse y avoir de jésuites sans rigueur et sans cœur à la fois, sans
raisons et sans affects ensemble, pas plus que d'ascétisme sans mystique et
l'inverse aussi.
Les jésuites peinent à reconnaître et à accepter leurs sentiments
Un membre de droit me confiait au retour de
Chantilly : « Nous ne, sommes pas mûrs pour oser nous affronter entre
jésuites… » Propos qui me remit en mémoire une réflexion des
psycho-sociologues moniteurs à deux sessions de « dynamique de
groupe » pour des « Nôtres » : « Il y a là un ensemble
assez exceptionnel de personnalités… Nous en avons peu vu qui aient autant de
peine à reconnaître et à accepter leurs sentiments. » Surprenant paradoxe
si l'on songe au « récit du pèlerin », au « journal
spirituel », au constant usage d'un langage affectif toujours associé à la
rigueur d'analyse…
Je crois au rôle de l'Institution
Et pourtant, oui, je crois au rôle de l'Institution, ne
serait-ce que comme repère pour se voir soi-même à la place que l'on occupe
exactement. Je crois très fort, pour la maturité d'une conscience, à
l'élucidation la plus rigoureuse possible du rapport personnel avec l'Institution.
Je ne conteste pas la marginalité, ni qu'elle puisse être prophétique, mais
c'est toujours alors, à mon sens, dans une dialectique entre un « dehors »
et un « dedans » dont je n'aime pas que l'on soit inconscient.
J'éprouve une réserve instinctive vis-à-vis des langages qui ne me semblent pas
intégrer tous les éléments d'un réel dont on vit. Et les institutions, aussi,
nous permettent de vivre.
La communauté appartenance et apport fraternel
C'est cela, surtout, que j'aimerais dire, et faire sentir.
Ce qui surgit, au jour le jour, dès lors qu'est acquise cette appartenance.
L'apport fraternel, a priori, des « garnisons » successives, et des
dépaysements : la Mayenne, la Normandie, le Massif Central, Paris, Lyon,
la Provence, Paris encore, et tous ces collèges fréquemment visités ensuite en
France, à Beyrouth, au Canada. La confrontation de chaque jour, dans tous ces
lieux, avec des psychologies différentes, des nationalités différentes, des
tâches différentes. Creuset de telles découvertes, de tels remodelages, qu'un
esprit de corps peut s'en dégager, non sans justesse, mais barrière alors
insupportable, voire redoutable, œillère égale au privilège… L'appartenance
n'est plus en ce cas support, terrain d'envol, mais suffisance où se
blottissent les peurs et qui compense, en gain collectif, les déchirements dont
sont payées les offrandes individuelles à cette autre « famille ».
Voir aussi :La Compagnie de Jésus, Des sacrements, Vie religieuse
Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader
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