Voir aussi : Formation, Revue P&M, Ecriture, Liberté, Psychanalyse
Les textes de cette page sont tous extraits du livre "Questions autour de l'homme réel" de François Ader
Au collège
Que devenait mon être dans ce Collège où nous allions tous
à la Messe chaque jour, en rangs, où l'on distribuait en étude, chaque semaine,
les bulletins de confession, où l'année s'ouvrait par une
« retraite » obligatoire, où le minutieux organigramme des classes et
des études – ne faisant aucune place, aucune, à l'expérience personnelle, au
choix – informait les jours et les nuits du pensionnaire, emportant dans le
même rythme, au mépris total des libertés, les manifestations de la vie
religieuse ? Eh bien j'adhérais… Je tâchais, à travers toutes ces balises,
de suivre le parcours en y mettant le plus d'amour possible. L'idée ne me
serait pas venue de le contester. Et puis je n'avais que cette liberté-là. Du
moins au Collège.
Un surveillant … impressionnant de majesté
Notre surveillant devait être âgé d'environ quarante cinq
ans. Il avait l'allure, la carrure, le prestige des sénateurs romains en toge
que l'on voyait dans les livres d'histoire. Lorsqu'il était sur son estrade
d'étude, et plus encore en haut des dix marches qui dominaient la cour de
récréation – face alors à nous, bambins de sixième à quatrième strictement
alignés sur deux files parfaites – et que retentissait son deuxième coup de
sifflet, celui qui décidait immédiatement du silence le plus absolu, il était
impressionnant de majesté. Dois-je dire qu'il jouissait d'une autorité totale,
inatteignable, et que pas un de mes camarades n'aurait osé devant lui, non pas
même chahuter, mais se permettre seulement, pendant un temps, la plus petite
incartade…
Pigeon, pigeonné moi-même
Ce cher abbé L, homme pieux, intérieur, ami de Jésus, mais
absent du Monde, … Ce très cher Père homme de cœur, esprit sans aucun doute
évangélique, mais grand pourvoyeur de « vocations » – c'était
l'époque ! – et qui, sur la photographie des « retraitants de fin
d'études », m'a près de lui, me serre le bras, comme sa prise, comme sa
conquête… Mais je suis tenté d'être injuste, je le sais, envers ces deux hommes,
car que pouvions-nous faire d'autre alors, eux et moi ! J'étais, pour leur
zèle, un client de rêve ! Même pas un « pigeon », puisque je
m'étais déjà, d'avance, pigeonné moi-même…
Dès ma seconde année de noviciat
Premiers voeux de novices Jésuites |
Noviciat, le chant des fœtus
Au Noviciat, tout était clair, limpide : nous devions
tout recevoir, tout, de la Compagnie, qui nous traiterait toujours avec bonté.
… Nous n'aurions donc pas, plus tard, à vouloir « faire nous-mêmes nos
« statuts » (nos choix, nos emplois) : non, il faudrait les
recevoir, dans l'indifférence, dans l'obéissance, de la Compagnie. Nous
n'aurions pas non plus à chercher ailleurs nos amis, nos distractions, nos
joies : nous les trouverions dans la Compagnie. Que de mises en garde,
alors, contre « l'extérieur » ! Et c'est vrai que la Compagnie
se conduisait, et se conduit toujours d'ailleurs, comme une « mère »
parfaite, exemplaire, et que nous pouvions chanter alors, à la fin des repas de
fête : « … Que dans ton sein on vit heureux ! » Ce que
d'aucuns, des impertinents, appelleraient plus tard – pas alors – « le
chant des fœtus »…
Stupéfait… Choqué même
Il nous faisait des conférences d'après le livre des usages
du noviciat, qu'il devait lire, puis commenter. « Des repas sont une nécessité douloureuse, certes, lui arriva-t-il
de lire un jour dans ce manuel, mais qui
peut quand même être sanctifiée… » Il y eut un temps de silence, puis
ces simples mots, avec un geste élégant de la main qui lui était
familier : « Vous comprenez
bien, chers frères, que je ne prends nullement à mon compte cette affirmation
stupide… » Je fus stupéfait. Stupéfait… Choqué même. Ce langage-là,
c'était tellement aux antipodes de ce que nous entendions d'habitude ! Je
suis très triste, maintenant, d'avoir alors été si stupéfait.
Discipline, il faut que ça gratte
Comment pouvait-il y avoir à la fois tant d'amour pour
Jésus et tant de mépris pour la vie, tant d'initiation juste à la prière, à la
contemplation, et si peu de confiance envers les êtres… Car s'il y avait toutes
ces minuties, tous ces morcellements, c'était prétendument pour fonder des
bases – de détachement, d'indifférence – des bases solides qui ne pourraient
être pensait-on, qu'effritées et affadies. « Il faut que ça gratte », disait le compagnon du Maître des
Novices, si bon cœur au demeurant, pour justifier ses pénitences, ses sévérités
parfois odieuses.
Deux ans dans un collège
A la fin de ces quatre années de vie religieuse, je ne vais
pas suivre le cours normal des études. Je passe deux ans dans un collège, avec
des responsabilités, et l'incomparable soutien d'un autre ami. Je pars alors
pour trois années de philosophie. Je reviens deux ans dans un autre collège.
Puis ce sont mes quatre années de théologie. J'ai de plus en plus de peine, au
cours de ces années d'études, à fixer mon attention, et je m'installe surtout
dans une sorte de dédoublement intérieur – je vis comme sur deux plans – dont
je m'imagine qu'il est le lot de tous et dont je ne supporte les effets
éprouvants que grâce aux joies de mes responsabilités artistiques d'alors, qui
sont ma prise d'oxygène, et qui vont avoir, dans ma vie, de plus en plus de
place.
Deux thérapies successives
Deux interventions successives me font prendre conscience
de ce qu'il y a d'étrange dans ce que j'éprouve. Après la première, trois
années de « méthode Vittoz », avant d'être ordonné prêtre, m'apportent une
certaine détente, mais ne touchent en rien les sources de mon malaise. Après la
seconde, deux ans d'une psychothérapie analytique profonde – je suis
sérieusement délabré lorsque je l’entreprends – me permettent au contraire,
ensuite, de m'engager dans une vie active, intense, non sans que subsistent des
symptômes tenaces, et ravageurs, de division intérieure.
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